HAINE DE CLASSE

HAINE DE CLASSE

J'ai eu un sommeil agité, cette nuit. Agité par des réflexions qu'a suscitées la discussion de mon billet d'hier sur la haine. Je l'illustrai par le désormais fameux tweet de Gérard Filoche, homme de gauche peu contestable et quasi historique. Il désignait à l'indignation populaire un Macron prêt à avaler l'univers pour le conduire au chaos. Bras grands ouverts pour mieux étouffer, le président porte au bras droit un brassard de type nazi où la croix gammée est remplacée par un dollar américain. Derrière lui, de gauche à droite, Patrick Drahi, Jacob Rothschild et Jacques Attali, juifs tous trois, debout devant des drapeaux israéliens à l'étoile de David et la bannière étoilée des États-Unis, indiquent sans ambiguïté pour le compte de qui agit le carnassier président français. Impressionnant, tous les symboles du fascisme antisémite d'avant et d'après-guerre, actualisés aux temps pas si nouveaux que ça, sont manifestes, évidents, plus que le nez au milieu du visage. Et pourtant………La vigueur de l'animosité, de la haine à l'état pur, du vieux militant de gauche pour le fringant libéral Macron l'a aveuglé au point de ne pas voir une telle évidence : c'est là une image fasciste, ou bien rouge brune, ce qui revient au même, issue en l'occurrence du site Égalité et Réconciliation d'Alain Soral.
« Comment un homme de gauche avait-il pu ? », fut ma première réaction. Elle était confortable. Jeune communiste de l'âge de 16 à 33 ans, engagé dans la réflexion humaniste et éthique par la suite, je ne me posais pas vraiment la question. La gauche, son idée au moins, sont l'antithèse de la haine fasciste et nazie, celle du F-Haine des Le Pen. Hélas, à y réfléchir plus de cinq secondes, c'est moins simple que cela. Pour revenir au militant Filoche, d'abord, « solidaire des travailleurs », il apparait aussi comme un monument de haine qui ne s'est pas édifié en un instant ! En 2014, après la mort du patron de Total, il tweetait, déjà :

Gerard Filoche‏ @gerardfiloche
De Margerie est mort. Famille Taittinger en deuil. Les grands féodaux sont touchés. Ils sont fragiles. Le successeur nous volera-t-il moins ?
06:05 - 21 oct. 2014

Partant de ma stupéfaction initiale de l'action de Gérard Filoche, j'en fus amené à remettre en question mes apaisantes certitudes : « la gauche, c'est la solidarité, c'est l'humanisme, c'est le plus sûr rempart à la haine ». Toujours le même Filoche m'y aida. Sa réponse itérative aux mises en cause dont il est l'objet est « Je n'ai pas fait attention, c'est une connerie, je m'en excuse. Je suis maintenant la victime des meutes macronistes !» Il n'a pas dit les hordes mais peut-être l'esprit y était-il. Quand on voit ces meutes, quand même, c'est un peu fort de lui trop tenir rigueur de sa connerie…..Et puis, je me suis mis à interroger plus objectivement mes convictions profondes.

La gauche a en réalité dès l'origine été ambivalente vis à vis de l'autre. Elle est certes par essence humaniste et solidaire, ce qu'est loin d'être unanimement la droite et ce que n'est pas l'extrême droite ! Cependant, la haine de classe fait profondément partie aussi de ses racines, l'aristocrate à la lanterne, la terreur pour les ennemis de la République, les massacres de septembre, les bourgeois soumis à la dictature du prolétariat, les goulags au poteau ou en Sibérie, la grande révolution culturelle chinoise, le Cambodge, tant de drames horribles. Du passé, penseront mes camarades et amis humanistes de gauche. Oui mais le leader incontesté de la gauche française aujourd'hui est un grand admirateur de Robespierre et de Maduro. Je diffère de lui sur ce point depuis longtemps : Encore communiste, je considérais déjà que la corruption condamnable d'un Danton était quand même moins redoutablement dangereuse que la vertu brutale d'un Robespierre ou d'un Saint-Just. J'ai, je m'en rends compte, jusque-là écarté de mon esprit une pensée mauvaise : Pour reprendre la théorie de René Girard, il y a bien entendu du désir mimétique à gauche ! Tout un discours s'est développé pour le masquer : point de jalousie, de la solidarité seulement envers les opprimés, ce qui exige le déploiement d'une juste violence envers les oppresseurs. Mais quand même ! Tout « patron », du chef d'entreprise au président d'université, sait qu'il est moins difficile de n'accéder à aucune revendication que de satisfaire seulement celles de certaines catégories de personnels. Une telle maladresse met le plus souvent le feu ! Je pourrais consacrer des pages et des pages à cette question.

Le moteur de la haine de classe reste puissant à gauche, on comprend bien qu'il ait pu pousser à la faute sinon invraisemblable notre vieux militant Gérard Filoche : L'homme jeune et brillant, pur produit de la bourgeoisie aisée et de la finance, qu'est le président de la République, symbolise la classe honnie. En plus, pour l'instant, « il a le point », pour citer les bons auteurs. On le hait. J'ai mal dormi, vraiment, très mal dormi.

Axel Kahn, le dix-neuf novembre 2017.


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