La Nouvelle Gauche Socialiste n'est pas seulement insoumise parce que Valls a été nommé premier ministre pour appliquer une politique de droite, mais parce que la France a voté au Conseil européen un mandat afin que la Commission négocie le traité transatlantique. L'exécutif, qui se croit tout-puissant aujourd'hui, a fait pression sur les parlementaires pour que l'accord soit conclu. Aujourd'hui, le ver est dans le fruit.

Cet accord est nocif sur les plans économique et géopolitique.

Du point de vue économique, l'Union européenne n'a aucun intérêt à signer cet accord avec les États-Unis, car elle est excédentaire du point de vue de la balance commerciale. C'est pourquoi Washington a besoin de pénétrer le marché européen afin d'écouler ses marchandises ; les États-Unis mènent déjà une politique commerciale extrêmement agressive en dévaluant le dollar. Cette politique leur permet de vendre moins cher sur notre territoire. L'Europe ne dispose quant à elle d'aucune politique de change ; l'Allemagne ne souhaite d'ailleurs pas que nous nous en dotions. Il n'y a déjà quasiment plus de barrières tarifaires entre l'Europe et les États-Unis. Dès lors, sur quoi porteront les négociations entre l'Europe et les États-Unis ? Elles visent les barrières non tarifaires, à savoir les normes sociales, sanitaires et environnementales. En clair, le bœuf aux hormones, le poulet à la javel et le gaz de schiste. À l'heure où nous souhaitons insuffler une transition énergétique dans l'agenda progressiste, mettre ces normes sur le tapis, c'est organiser un recul inadmissible. Les partisans du Tafta tentent de brandir l'argument de l'exception culturelle qu'ils auraient réussi à préserver. Rien ne dit d'ailleurs que la pression des majors hollywoodiennes ne la remette pas en cause dans le futur accord. En échange, les États-Unis souhaitent préserver leur exception financière et leurs normes financières face à des règles européennes qu'ils jugent trop restrictives. En la matière, l'Europe est régie par les normes dites de Bâle 3 : des exigences de fonds propres imposées après la crise afin que les banques conservent un matelas en cas de faillite et un « superviseur » qui contrôle les banques de l'UE. Or, les États-Unis ne veulent ni de cela ni d'une taxation sur les transactions financières.

Quant aux services publics, ils ont été jusqu'à présent protégés dans les accords commerciaux de l'UE et de ses États membres, grâce à l'usage dite de "listes positives" (dans lesquelles seuls les secteurs libéralisés sont listés). TAFTA introduit une nouvelle approche, celle des listes "négatives" où tous les secteurs seront libéralisés à moins d'être explicitement exclus. Cette innovation fait craindre que les exclusions contenues dans les TAFTA soient incomplètes, et en particulier que les États n'aient plus la latitude de décider d'une renationalisation après avoir décidé de la libéralisation d'un service (effet de loquet, ou 'ratchet').

Si nous acceptons le Tafta, nous sommes perdants sur tous les plans et le risque est grand de voir une nouvelle fois le monde mené à l'aventure financière.

La protection de l'investissement, compétence exclusive de l'UE depuis 2009, est un autre sujet d'inquiétude.

La Commission, de même que le gouvernement américain, souhaite introduire dans TAFTA un mécanisme de résolution des différents entre investisseurs et états (RDIE ou ISDS en anglais). Ces mécanismes, qui sont fréquents dans les différents traités d'investissement conclus par les États membres de l'UE avant 2009, permettent aux investisseurs étrangers de saisir un tribunal arbitral en cas d'expropriation non-compensée ou de traitement jugé injuste ou inéquitable de la part de l'État hôte. Ces mécanismes introduisent de facto une discrimination entre investisseurs domestiques et investisseurs étrangers, puisque seuls ces derniers ont accès au RDIE.

Ainsi, l'imprécision des concepts employés (par exemple "l'expropriation indirecte") et le recours à une justice arbitrale peut limiter le droit des gouvernements à adopter des réglementations: une décision telle que le relèvement du salaire minimum ou de normes environnementales pourrait s'apparenter à une expropriation et ainsi exposer un gouvernement à des poursuites.

Sur le plan géopolitique, nous assistons à la mise en place d'un grand marché unique allant du Pacifique à l'Ukraine. Au cœur de ce tableau, la figure de Poutine est agitée tel un épouvantail. Ce grand marché sera celui de la civilisation occidentale avec la culture et les normes américaines. Nous entrons au grand galop dans le piège tendu d'une guerre des civilisations. À l'heure où les forces obscurantistes s'agitent aux portes de l'Europe, les va-t-en-guerre feraient mieux de réfléchir aux conséquences d'un alignement sur les États-Unis, dans les domaines militaires, culturels et économiques. L'Europe aurait au contraire intérêt à faire valoir ses normes et son particularisme en matière diplomatique.

Nous avons un rôle de régulateur à jouer et nous ne pouvons pas nous aligner sur la politique américaine.

Cet accord est suicidaire sur le plan économique et catastrophique sur le plan géographique.

Que faire ?

Même en ayant voté contre le traité de Lisbonne, il faut reconnaître que dans son contenu, il offre  une opportunité face au marchandage entre les États. Il autorise ainsi au Parlement  européen de prendre le pouvoir sur certains dossiers et d'imposer son véto. Il ne l'a pas fait, alors qu'il avait la possibilité de le faire, face à un budget en baisse de 10 %. Espérons que sur un sujet aussi grave que TAFTA, le Parlement prenne enfin ses responsabilités. Á cet effet, il serait de bon augure que des mobilisations s'organisent. Il faut aller voir chaque parlementaire européen, faire le siège devant le Parti socialiste, Matignon et l'Élysée. Ce sursaut citoyen est nécessaire face à la régression que sont en train d'organiser les néo et sociaux-libéraux.

 

Exigeons  qu'un débat public authentique sur le contenu du traité soit organisé

Liêm Hoang Ngoc, fondateur de la Nouvelle Gauche Socialiste