mercredi 25 avril 2018

Bernard Friot : « Si Macron gagne son pari de la réforme de la SNCF, il faut se faire du souci pour le reste »

Bernard Friot : « Si Macron gagne son pari de la réforme de la SNCF, il faut se faire du souci pour le reste »

Bernard Friot : « Si Macron gagne son pari de la réforme de la SNCF, il faut se faire du souci pour le reste »

Bernard Friot est un sociologue et économiste, professeur émérite à l'université Paris X-Nanterre. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la Sécurité sociale et le salariat. Son dernier livre, paru en 2017 aux éditions La Dispute, s'intitule : Vaincre Macron.

Bernard Friot.

Reporterre — Pourquoi le gouvernement se focalise-t-il autant sur le statut des cheminots ?

Bernard Friot — Depuis la fin des années 1980, la seconde gauche emmenée par Michel Rocard a lancé une offensive absolument déterminée contre le salaire à la « qualification personnelle », autrement dit contre le statut des fonctionnaires ou de certains salariés comme les cheminots. Cette contre-révolution se prolonge jusqu'à aujourd'hui, Emmanuel Macron étant un parfait « baby Rocard ».

Ce salaire à la qualification personnelle est pourtant la conquête sociale majeure du XXe siècle face au capital ! Macron veut des free-lance, des autoentrepreneurs, afin que la reconnaissance du travailleur s'opère sur un marché — marché du travail ou des biens et services.

Tout au long du XXe siècle, le combat des mouvements sociaux a été d'imposer au capital d'employer les travailleurs. En 1910, le contrat de travail va lier le salaire au poste de travail, et non plus à la tâche. Puis, mieux que ça : le mouvement social va obtenir le salaire lié à la personne même. Au cours du siècle dernier, on assiste ainsi à une lente montée en puissance de ce salaire à la qualification personnelle : en octobre 1946, la loi Thorez sur les fonctionnaires concerne 500.000 personnes. Aujourd'hui, ce sont 5,5 millions de personnes : les fonctionnaires, les salariés à statut (cheminots, EDF, RATP, etc.), la moitié des retraités. Tous ont une forme de salaire lié à la personne, détaché du fait qu'ils aient un poste, ce qu'on appelle aussi salaire à vie.

Et il y a une haine de classe pour ça ! La classe dominante est absolument déterminée à maintenir la reconnaissance sociale du travailleur dans une logique marchande. Accepter que des gens soient payés pour un attribut qui leur est propre, que ce ne soit pas leur poste qui soit qualifié, mais eux, c'est un refus absolu ! L'idée que les travailleurs se libèrent de l'aléa du marché, qu'ils puissent relever la tête parce qu'ils sont titulaires de leur salaire, ça leur est insupportable.

Une classe dirigeante ne défend pas ses sous, elle défend son pouvoir sur le travail, parce que c'est de ce pouvoir qu'elle tire ses sous. Or, ce pouvoir repose sur deux institutions : l'aléa marchand pour la reconnaissance du travailleur — c'est-à-dire le fait que le travailleur soit un individu sur un marché — et la propriété lucrative de l'outil. L'attaque de Macron contre la SNCF porte sur ces deux institutions : l'ouverture à la concurrence (la propriété lucrative de l'outil) et le statut du cheminot (l'aléa marchand pour le travailleur).


Pourquoi se centrer sur les cheminots plutôt que sur les fonctionnaires ?

La fonction publique est effectivement le dernier bastion du salaire à vie, mais elle a moins de tradition syndicale combative que les cheminots. Étant donné qu'Emmanuel Macron a pu réformer depuis un an sans coup férir, il fait un pari : s'il gagne contre les cheminots, donc contre les plus combatifs, il pense avoir un boulevard pour les fonctionnaires, dont la plupart partagent un certain défaitisme. Il a donc ajouté cette réforme de la SNCF qui n'était pas dans son programme. De fait s'il gagne ce pari, il faut se faire du souci pour le reste.


Donc, à l'inverse, le combat que le mouvement social doit mener, c'est l'extension du statut du cheminot à tous, comme le dit Philippe Martinez.

Effectivement. La seule bataille qui soit fédérative, c'est celle qui propose d'étendre à tous la libération vis-à-vis du marché du travail. C'est donc l'extension à tous et toutes d'un salaire à la qualification personnelle, aussi appelé salaire à vie. L'idée est la suivante : à 18 ans, chacun se voit attribuer un premier niveau de qualification, et le salaire correspondant, ces qualifications et salaires pouvant augmenter ensuite au cours de la vie professionnelle. Par exemple, ce salaire pourrait commencer à 1.500 euros nets par mois à 18 ans et aller jusqu'à un salaire maximum de 6.000 euros si l'on retient quatre niveaux de qualification, ce qui correspond aux conventions collectives les plus avancées.

Manifestation parisienne du vendredi 13 avril où les cheminots, les étudiants, le personnel de santé ou encore les postiers ont défilé de Tolbiac jusqu'à la gare Austerlitz.


En quoi est-ce différent du revenu de base ?

Le revenu de base ne s'attaque pas — y compris quand il s'élève à 1.000 euros par mois — à la logique du capital. Il n'offre pas vraiment d'alternative au marché pour la reconnaissance des travailleurs. Ce n'est qu'un premier pilier de ressource. Or, quand on cumule une allocation fiscale, comme le revenu de base, et du salaire, c'est toujours au détriment du salaire. L'employeur peut se dédouaner et dire « tu as déjà 800 balles, voici 400 balles, et tu as ton Smic ». C'est ce qui se passe avec le RSA activité.

Le revenu de base est porté par des écologistes, mais c'est une erreur intellectuelle ! En aucun cas le revenu de base ne peut être un soutien à la décroissance.


En quoi le salaire à vie pourrait-il être moteur de décroissance ?

Parce qu'il n'est pas isolable d'une proposition plus générale. Il ne se conçoit pas sans une révolution. C'est un élément d'un autre mode de production que le système capitaliste.

Le salaire à vie signifie que nous sommes porteurs du salaire parce que nous produisons la valeur économique. Et donc, nous devons être propriétaires de l'outil de travail et décider de l'investissement. Avec le droit politique au salaire vient la propriété d'usage et patrimoniale de l'outil de travail.

Dans le système capitaliste, la seule chose qui intéresse un propriétaire lucratif, ce qui guide sa décision en matière de production, c'est : « Est-ce que ça rentabilise le capital ? » Point. Il ne se pose aucune question quant à l'utilité sociale, quant à la prédation sur la nature. Nous sommes dans une dictature de la rentabilité financière du patrimoine.

À l'inverse, dans un système avec un salaire à vie et sans propriété lucrative des outils de travail, que se passe-t-il ? L'entreprise n'a plus l'obsession de payer ses salariés puisqu'elle verse une cotisation au prorata de sa valeur ajoutée à une caisse commune, et c'est la caisse qui paye ses salariés. Elle n'a plus l'obsession des emprunts puisqu'elle ne s'endette plus, elle est subventionnée. En revanche, elle verse une cotisation — qui remplace le profit — permettant de financer des caisses d'investissement gérées par les travailleurs.


Quels sont les prochains pas pour renforcer le mouvement ?

Il faut fédérer. Car il y a une cohérence dans ces contre-réformes de la SNCF, de l'université, des hôpitaux.

Prenons la lutte des étudiants contre la sélection. Ce que veut Macron au départ, c'est la réforme du bac : un bac à la carte, avec beaucoup de contrôle continu. Le bac va être lié au type d'établissement dans lequel on l'a passé, et non plus un examen national. Donc, si le bac n'a plus de cours à l'échelle du pays, il faut de la sélection à l'université, c'est cohérent. C'est déjà ce qui se passe en Angleterre !

La sélection met en compétition les étudiants, mais aussi les établissements. Ils vont embaucher très cher des profs très connus pour attirer les meilleurs étudiants, tout ceci va entraîner des coûts, des hausses des frais d'inscription, et donc des prêts pour les étudiants. Derrière la logique d'endettement, il y a l'idée qu'un étudiant ne travaille pas, il n'est pas productif, mais il a le droit d'avoir un prêt qu'il remboursera quand il bénéficiera d'une amélioration de son capital humain lié à ses études.

Là aussi, la réponse à apporter, c'est que nous avons tous droit à une qualification de 18 ans à notre mort, et à un salaire correspondant.

L'occupation de Sciences-Po, à Paris, le 18 avril.


Vous dites que le salaire à vie n'adviendra qu'avec une révolution. Comment fait-on ?

C'est très facile en matière économique mais beaucoup plus difficile en matière politique. Gramsci nous raconte qu'une classe est dirigeante lorsqu'elle est hégémonique, c'est-à-dire quand elle fait accepter son récit du réel par ceux qu'elle domine. Donc, il faut imposer un contre-récit. Expliquer que le salaire à vie n'est pas irréalisable, qu'il existe déjà. Nous devons avoir conscience que la bataille autour du salaire à la qualification est la mère des batailles. On n'en est pas là. Pour le moment, c'est plutôt une addition de rages.


Qu'est-ce qui fait qu'en 2018 ça pourrait marcher ?

De nombreux jeunes entrent en dissidence. Avec toutes les mesures jeunes — les emplois jeunes, les services civiques —, on a complètement fait chuter le salaire d'embauche. À 25 ans, en euros constants, ce salaire est deux fois et demie moindre que ce qu'il était à la fin des années 1960, alors que le pays est infiniment plus riche. Il y a donc eu un effondrement complet, qui a entraîné beaucoup de jeunes dans la révolte. Ils ne vont plus sur le marché du travail, ils recherchent des alternatives au capital, ici et maintenant. Beaucoup de jeunes diplômés ne jouent pas le jeu. S'il s'ajoute à cela des travailleurs indépendants qui se rendent compte combien ils sont exploités et qui ne veulent plus payer la rente aux propriétaires et créer des coopératives, ça commence à être intéressant.

Mais il faut aussi un syndicalisme qui soit capable de dire à tous ces jeunes qui sont dans la dissidence : on peut faire autrement, nous avons déjà conquis le salaire non lié à un emploi, allons-y battons-nous pour l'extension à tous du salaire à vie !

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat

LE STATUT DES CHEMINOTS, UN EMPLOI À VIE

Le tout premier statut de cheminot date de 1920, mais il a été modifié à plusieurs reprises. La principale différence avec un contrat de droit privé (type CDI), c'est que le statut de cheminot met les agents de la SNCF à l'abri d'un licenciement économique. En effet, il prévoit seulement trois cas de départ : la démission, la retraite ou la radiation. Comme pour les fonctionnaires, on parle ainsi d'emploi à vie, ou, comme l'explique Bernard Friot, de salaire à la qualification personnelle.

90 % des 150.000 salariés de la SNCF relèvent de ce statut. Il s'accompagne d'une période d'essai plus longue, d'un an à deux ans et demi pour certains cadres.

Délégations de services publics : quand le privé profite de l’édile…

http://www.courrierdesmaires.fr/75006/delegations-de-services-publics-a-qui-profite-le-deal/?utm_source=flash-info-cdm&utm_medium=email&utm_campaign=flash-info-25-04-2018

Le double jeu de Facebook avec le RGPD

http://www.rtl.fr/actu/futur/le-double-jeu-de-facebook-avec-le-rgpd-7793126088?utm_campaign=Newsletter&utm_medium=&utm_source=Newsletter+Quotidienne+Info

A quoi servent les PDG, cette bizarrerie française | Laurent Faibis | Pulse | LinkedIn

A quoi servent les PDG, cette bizarrerie française | Laurent Faibis | Pulse | LinkedIn

A quoi servent les PDG, cette bizarrerie française

Quand on parle d'un chef d'entreprise en France, on le désigne généralement par l'acronyme P-DG. Or, le P-DG est une bizarrerie bien française.

Tout d'abord, il convient bien d'écrire P tiret DG et non PDG, car il s'agit de deux fonctions tout à fait différentes. Le P désigne le président du conseil d'administration, alors que le DG désigne le directeur général de l'entreprise. Le président oriente, le directeur général dirige. Parmi les attributions du Conseil d'administration – et donc singulièrement de son président – figurent notamment la nomination, l'évaluation et la rémunération du directeur général. Par conséquent, un P-DG est à la fois juge et partie : il se nomme, s'évalue et se rémunère lui-même.

Confusion des rôles

Pour bien des observateurs étrangers, cette confusion des rôles est typique de la centralisation des pouvoirs, qui de Louis XIV à Napoléon semble caractériser les dirigeants français. Dans de très nombreux pays, il est d'ailleurs interdit par la loi que le président soit aussi directeur général, ce qui permet d'éviter bien des conflits d'intérêts. Dans les pays de capitalisme rhénan, comme l'Allemagne, il existe même deux instances totalement séparées, le directoire et le conseil de surveillance, chacune présidée par un individu nécessairement différent.

Aux États-Unis, on distingue le président du conseil d'administration, c'est-à-dire le Chairman, et le directeur général de l'entreprise, c'est-à-dire le CEO, acronyme de Chief Executive Officer. Au passage, il ne faut pas traduire "CEO" par "P-DG" : le CEO est directeur général, mais pas président du conseil d'administration. Cela dit, dans la moitié des 500 plus grosses entreprises américaines, les rôles de chairman et CEO sont confondus, à l'image de ce que l'on peut observer par exemple chez Disney, Facebook ou Amazon. Cependant, sous la pression des actionnaires, qui craignent des dérives lorsque les pouvoirs sont trop concentrés, la tendance est la séparation de ces deux fonctions, comme chez Google, Ford ou Microsoft.

Séparation des pouvoirs fictive

En France, la structure dominante reste le conseil d'administration unique, sous la direction d'un président-directeur général unique. Avant 2001, c'était même la seule solution pour les sociétés anonymes. La structure en directoire et conseil de surveillance, également autorisée par la loi, a tout de même été choisie par un certain nombre de grandes entreprises telles que Michelin, PSA, Publicis ou Vallourec. D'autres, comme Axa, BNP Paribas, Engie, Sanofi, Société Générale ou Sodexo, ont séparé les fonctions de président et de directeur général.

On peut cependant observer que certaines, comme Danone, adoptent temporairement cette structure, le temps que l'ancien P-DG, devenu seulement président, prenne sa retraite. Son successeur, jusque-là directeur général, devient alors à son tour P-DG. Il en est de même lors de la fusion de deux entreprises : le P-DG de l'une devient président, le P-DG de l'autre DG, avant que l'un des deux ne prenne sa retraite, l'autre cumulant alors les deux fonctions.

Au total, si les dirigeants français, sous la pression des investisseurs et des comités d'éthique, semblent jouer le jeu de la séparation des pouvoirs, cela ne reste bien souvent qu'une façade. Le mythe de l'homme providentiel reste encore bien ancré dans notre psychologie nationale, dans les entreprises comme ailleurs.

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« Manifeste contre le nouvel antisémitisme » : délirant, provoquant, indigent

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Délirant ? Provoquant ? Indigent ? On hésite à la lecture du « manifeste contre le nouvel antisémitisme » signé Philippe Val dans Le Parisien du 22 avril. En France, aujourd'hui, selon ce penseur, les Juifs subissent « une épuration ethnique à bas bruit ». Et qui sont les nazis d'aujourd'hui ? Oui, les musulmans et les gauchistes, vous le saviez déjà, c'est le même disque rayé depuis 20 ans. Nous publions une double réponse à ce manifeste :

[TEXTES à L'APPUI] Notre réponse au « manifeste » de Philippe Val dans « Le Parisien » du 22 avril, à lire ici : la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/manifeste-contre-le-nouvel-antisemitisme-delirant-provoquant-indigent

Dominique Vidal : « L'immense majorité des Juifs jusqu'à la Seconde Guerre mondiale était antisioniste »

Une occasion pour (re)voir l'entretien de Daniel Mermet avec Dominique Vidal en février dernier, lors de la parution de son ouvrage "Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron", que nous passons en LIBRE ACCÈS grâce au soutien des abonnés modestes et géniaux.

[VIDÉO : 38'19] Un entretien de Daniel Mermet avec Dominique Vidal, à voir ici : la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/dominique-vidal-l-immense-majorite-des-juifs-jusqu-a-la-seconde-guerre-mondiale