Souvenez vous, c'était en 2012, le prix du maïs bondissait de 25 % sur le marché mondial. La principale cause de cette envolée spectaculaire était dûe, selon les diverses presses de l'époque, à la secheresse extrême qu'à connue 61% des Etats-Unis durant l'été 2012 (dépêche du midi du 13 aout 2012), entrainant, de fait, une pénurie céréalière sans précédent (les USA étant le 1er producteur mondial de mais). Mais les spéculateurs, toujours aussi prévoyant, ne s'y étaient pas laissés prendre et, de spéculations juteuses en prévoyances douteuses, les cours mondiaux des céréales s'envolaient de 30 à 50% en quelques semaines, faisant craindre  de nouvelles émeutes de la faim dans les pays pauvres et une baisse du pouvoir d'achat dans les pays développés (augmentation du prix du pain, des pates, des biscuits...).

Car dans de nombreux pays, France comprise, les cours du blé, du mais et des autres céréales fluctuent en fonction de ces cours mondiaux fixés par ces spéculateurs. Ils vendent, achètent et revendent des lots de blé, de mais, de céréales qui n'ont pas encore été récoltés, voire pas encore semés. Si une sécheresse durable et sévère est annoncée risquant de faire chuter l'offre céréalière, les cours grimpent. Et ils grimperont encore plus vite et plus haut si la planète dispose de peu de stocks.

 

On le sait aujourd'hui, la pénurie céréalière de 2012 a été artificiellement crée!

Tous les chiffres témoignent de la bonne santé du secteur céréalier durant cette période. Les années 2011-2012 et 2013 comptent même parmis les meilleures en ce qui concerne l'agriculture mondiale. Le département de l'Agriculture des États-Unis (USDA) écrivait dans son rapport que « les récoltes de maïs et de blé ont atteint des records durant les saisons 2011/2012 et 2012/2013 ». Quant aux stocks mondiaux de blé, ils atteindraient le niveau historique de 232 millions de tonnes à l'approche de la récolte de l'été 2016, soit une augmentation de 10% par rapport à la fin du printemps 2015 (étude du ministère américain de l'Agriculture). Les riziculteurs n'ont pas été en reste non plus. Avec une production 2012-2013 avoisinant 465 millions de tonnes, le stock de riz pouvait, d'après l'USDA, combler 20% des besoins mondiaux.

Mais ces excellentes nouvelles n'ont pas endiguer l'envolée du prix des produits agricoles en 2012. Elles n'ont pas réussi,non plus, à contenir les émeutes de la faim décimant 37 personnes en Afrique du Sud  lors de l'été 2012 (chiffre issue de la Banque Mondiale). Aujourd'hui, le prix de ces produits demeure plus que jamais instable. Cette situation, comme nous venons de le voir, n'est pas liée aux conditions climatiques. Elle n'est pas non plus liée à des stocks mondiaux en berne. Elle est la conséquence directe de mécanismes économiques et politiques dont bon nombre refusent encore d'y voir un lien de cause à effet.

 

La dérégulation des marchés

 Le développement très important de la financiarisation des marchés agricoles depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000 a vu apparaitre de nouveaux investisseurs : banques, fonds de placement, caisses de retraites, hedge funds….qui ont vu dans les marchés agricoles de juteux actifs financiers.

Au-delà de ces investisseurs, d'autres intermédiaires jouent aussi avec les cours des matières premières agricoles afin d'en tirer un profit. Selon Alessandro Stanziani, historien de l'économie à l'EHESS et au CNRS, dès le XVIIe, des marchands accaparaient la totalité de la production de blé, créant ainsi une rareté artificielle faisant monter les prix. Ces pratiques dangereuses sont toujours d'actualité aujourd'hui et s'illustrent, par exemple, avec le londonien Anthony Ward, alias "chocolate finger" qui, en 2010, achetait près de 240 100 tonnes de cacao sur le marché du NYSE Liffe, soit 15 % des stocks mondiaux – une opération d'accaparement légale, connue sous le nom de "corner" qui n'eut d'autres conséquences que de faire grimper les cours du cacao à des niveaux records jamais vus depuis 1977.

Malgré toutes ces constatations avérées et chiffrées, l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), insiste, affirmant que le seul moyen de permettre une stabilité, voire une baisse générale des prix des produits agricoles, consiste en un élargissement des marchés sans aucune contrainte. Ainsi, la libéralisation serait synonyme d'efficacité.

Pour en arriver à cette conclusion, l'OMC se base sur de nombreux modèles macro-économiques, développés entre autres par l'OCDE, qui estiment que les fluctuations des prix internationaux des produits alimentaires seraient le fruit des politiques interventionnistes (Europe et Etats essentiellement). Ce dogme sert aujourd'hui de prétexte pour accélérer la libéralisation du commerce international (CETA, TAFTA).

Or, une étude française intitulée « La libéralisation des échanges et le bien-être des populations pauvres », publiée en décembre 2003 à la demande de la direction des Affaires Financières du Ministère de l'Agriculture, aboutit à des conclusions strictement opposées !

Les auteurs du rapport, réalisé par une équipe d'économistes du Centre de coopération en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et de l'Inra, ont mis en évidence l'erreur des modèles économiques standards : ils ne prennent pas en compte l'instabilité intrinsèque des prix dans le secteur agricole, et en particulier les erreurs flagrantes d'anticipation et les opérations d'accaparement légales ayant un impact majeur sur les prix . Ainsi, la libéralisation des marchés ne permet ni une meilleure stabilité, ni une baisse générale des prix des produits agricoles.

C'est ce qu'avait déjà analysé Mordecai Ezekiel, auteur du livre From Scarcity to Abundance (De la pénurie à l'abondance). Cet économiste a été l'un des principaux « penseurs » de la politique agricole du Président Franklin D. Roosevelt. Conseiller économique du secrétaire d'Etat à l'Agriculture entre 1933 et 1944, Ezekiel s'est précisément appuyé sur la spécificité de la forte variabilité des prix agricoles pour justifier « l'exception agricole » et ainsi arriver à la conclusion que ce secteur doit être déconnecter du marché financier afin de garantir l'intérêt général de chacun. Cette politique a parfaitement fonctionné aux Etats-Unis, et ensuite en Europe avec la PAC des années 60.

Plus récemment, en 2011, alors que s'ouvrait en France un G20 qui avait fait de la question agricole sa priorité, Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, mentionnait que la régulation des marchés agricoles devait être la première des cinq priorités pour renforcer la sécurité alimentaire (journal Le Monde 8 juin 2011). "L'impact de la spéculation financière sur la flambée des prix alimentaires est désormais largement reconnu, et ce phénomène doit être contrôlé au plus vite", assénait-il.

En dépit d'une légère prise de conscience en 2008 due aux émeutes de la faim, révélatrice de la vulnérabilité de l'économie de marché et des compromis, nationaux comme internationaux, la situation alimentaire est aujourd'hui plus que jamais tendue et il suffit de n'importe quel aléa avéré "ou pas" dans un pays producteur pour que le marché s'emballe.

Quand est-il du beurre ?

 

L'évolution de son prix 

  

De 2006 à 2010, la production de beurre dans le monde a cru de 14%  pour atteindre 10 millions de tonnes en 2010, (l'Inde étant le 1er producteur mondial). Durant ces mêmes années,  les ventes de beurre dans le monde ont augmenté de 13.2% (source : étude de strategyr : BUTTER - A GLOBAL STRATEGIC BUSINESS REPORT).

En 2015, la consommation de beurre s'accèlère : certaines chaines de restauration rapide le ré-introduisent dans leur recette délaissant la margarine. Cette même année, la Chine, à elle seule, augmentait ses commandes de 23 %, dont la moitié environ était du beurre d'origine Française entrainant une hausse de 45% du prix à la tonne.

En juin 2016, une étude de grande ampleur parue dans la revue scientifique Plos One, conclue qu'il n'existe aucun lien entre la consommation de beurre et les maladies cardiovasculaires. D'autres publications affirment que les matières grasses animales ne seraient pas si nocives pour la santé si on les compare à certaines matières grasses d'origine végétale (voir notamment l'étude publiée dans  « Annals of Internal Medicine » pointant les méfaits avérés sur la santé de l'huile de palme).

 

 

En 2016, les exportations de beurre de l'Union européenne à 28 (hors échanges intra-communautaires) progressaient de 21,2 %, (une augmentation comparable à 2015), ce qui représente 40,3 milliers de tonnes supplémentaires. Dans le même temps, les importations de l'UE reculaient (pour la seconde année consécutive) de 3 500 tonnes environ (- 13,5 %). En conséquence, le solde positif des échanges de beurres européens s'est à nouveau amélioré, dépassant 200 000 tonnes. Cette croissance de la demande est venue aussi bien des pays d'Asie (Indonésie, Hong-Kong, Chine) que d'Afrique du Nord (Maroc), du Moyen-Orient (Arabie Saoudite) ou des États-Unis.

En février 2017, la grande distribution française négociait le prix d'achat du beurre avec ses fournisseurs prenant donc en compte ces dernières hausses.

De mars 2017 à septembre 2017, le marché s'est emballé et le prix de la plaquette de 250g de beurre augmentait de 52% en Allemagne  (le Figaro.fr du 25 Octobre 2017). Cet emballement du marché en à peine 6 mois, révèle une fois encore la vulnérabilité et les dangers d'un marché dérégulé.

 

Une pénurie française montée de toute pièce 

Il aura fallu attendre une semaine pour que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation du gouvernement Macron, daigne enfin admette publiquement que le manque de beurre constaté dans certains supermarchés français relevait moins d'un problème de production que d'un nouvel épisode du bras de fer qui oppose, depuis des années, industriels et grandes enseignes. Des grandes firmes telles que Lactalis, Danone, Sodiaal, Bongrain, Entremont… vendent leur stock de beurre à l'export, mettant à profit les quelques mois restants avant les prochaines négociations annuelles sur les prix. Alors que la France est excédentaire en lait et pourrait satisfaire ses besoins en beurre, les industriels de l'agroalimentaire font sciemment le choix de vendre au plus offrant et concourent à organiser une pseudo « pénurie ».

Plus que jamais, l'analyse de Mordecai Ezekiel prônant l'exception agricole et sa déconnexion des marchés financiers apparait telle une évidence.

 

La crise du Beurre : une conséquence de la crise du lait due à la fin des quotas laitiers

Ne nous voilons pas la face, la fin des quotas laitier en 2015 a permis le passage d'une régulation publique à une régulation privée, livrant les volumes et les prix à un marché totalement imprévisible. En effet, l'abandon effectif de ces quotas entériné par Bruno Lemaire (ministre de l'alimentation et de l'agriculture de 2009 à 2012) qui, s'adressant au sénat, affirmait à l'époque que « …l'important, c'est que les producteurs aient une bonne visibilité du marché et les quotas n'en sont pas le meilleur moyen… ». Mais, ce que Bruno Lemaire avait oublier de préciser c'est qu'avoir une « bonne visibilité du marché » n'offre aucune garantie de revenus aux producteurs. Bien au contraire,  l'arrêt de l'encadrement de la production de lait a entrainé une volatilité de son prix sur le marché. Ainsi, en France, les prix ont reculé de 29 euros par tonne de lait sur à peine 1 an, à 297 euros/tonne en décembre 2015. Soit un prix inférieur aux coûts de revient, plongeant des producteurs dans une grave crise, qui les a poussés à d'innombrables manifestations.

 

L'Europe touchée de plein fouet

En Allemagne, les producteurs souffrent aussi de la faiblesse du prix du lait, mais dans leur grande majorité, ils n'envisagent pas de réduire leur production, préférant miser sur de nouveaux marchés à l'export.

Un argument qui ulcère la Nouvelle-Zélande, premier exportateur mondial de lait, touché de plein fouet en 2015 par la baisse des prix. Les responsables du secteur reprochent à leurs collègues européens de jouer un rôle important dans la chute des prix, en produisant trop de lait. La coopérative Fonterra, géant mondial de l'industrie laitière, a dû supprimer plus de 700 emplois. Elle a aussi abaissé à deux reprises le prix payé aux éleveurs qui produisent du lait pour son compte, soit la quasi-totalité des producteurs du pays.

En Irlande, la plupart des éleveurs vendent désormais leur lait en-dessous de leurs coûts de production. « Combiné avec le fait que certains éleveurs se sont endettés significativement pour s'agrandir, la durée de la baisse des prix sera cruciale pour la survie de certains élevages », selon l'association des producteurs de lait irlandais (ICMSA).

Aux Pays-Bas, les éleveurs ont « augmenté la production pour augmenter le cash-flow » (flux de trésorerie), mais le secteur estime que la baisse des prix est due « surtout,  à la chute de la demande chinoise et au boycott russe », explique à l'AFP Klaas Johan Osinga, de l'Organisation néerlandaise des agriculteurs et éleveurs (LTO).

Ce qui semble paradoxal car les marchés mondiaux sont indéniablement orientés à la hausse. Chaque année la demande mondiale de lait et de produits laitiers (beurre, crème, poudre de lait) progresse en moyenne de 2,5 % par an (source : CNIEL/FAO). On prévoit ainsi une augmentation de 22 % de la production de lait à horizon 2026 (source FAO/OCDE). D'autant que certains scandales sanitaires (comme par exemple l'affaire du « lait frelaté » en Chine) poussent certains pays à massivement importer leur lait et leurs produits laitiers.

Mais la fin des quotas laitiers a surtout été la victoire  du dogme libéral et des tenants du  libre échange, majoritaires dans les instances européennes. Cette liberté de produire a engendré de toute évidence, une surproduction qui a eu pour conséquence une chute des prix du lait alors que la demande mondiale de beurre, produit laitier par excellence, augmentait. « À la fois conjoncturelle et structurelle, cette crise du beurre n'est qu'une nouvelle manifestation de la crise plus profonde que connaît la filière laitière en France depuis la fin des quotas laitiers européens, qui permettait de réguler à la fois les volumes et les prix », atteste de son côté Xavier Hollandts, professeur à la Kedge Business School.

Malheureusement, les éleveurs n'ont pas bénéficié de la hausse des cours du beurre et ils n'en bénéficieront jamais. Le prix du litre de lait continue, pour nombre d'entre-eux, à leur être payé au même prix qu'il y a 30 ans, soit environ 29 centimes d'euro le litre[i], alors que le prix du beurre a quasiment doublé ! Pourtant vingt-deux litres de lait entier sont nécessaires à la fabrication d'1 kg de beurre : « Aujourd'hui nous sommes arrivés au bout d'un cycle où chacun a bien compris que si l'agriculteur ne gagne pas sa vie correctement, il n'y aura plus d'agriculteurs », a commenté le ministre de l'agriculture Stéphane Travert le 27 octobre dernier.

 

Il est donc urgent que l'Union européenne se dote à nouveau d'outils publics d'organisation des marchés afin de réguler et répartir les productions, prévenir les crises, assurer la souveraineté alimentaire et garantir des revenus plus que corrects aux producteurs !

 

La dure réalité des agriculteurs français

En France, le revenu des agriculteurs ne cesse de diminuer. En 2016, et selon des chiffres fournis par la MSA (Mutualité Sociale Agricole), 50% des agriculteurs auraient touché moins de 350 euros par mois.

Entre 2013 et 2015, le revenu annuel moyen des agriculteurs a chuté de 30% (passant de 14 000€ à 9 700€ par an).

De plus, les agriculteurs font face à un endettement croissant. D'après l'Agreste, le service statistique du Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, l'endettement moyen des agriculteurs français s'élevait à 159 700 euros en 2010.

 

Dossier élaboré par Marie-Anne Nedyj pour les socialistes insoumis

 

[i] Sur cette somme le producteur ne fait pas de bénéficies. Souvent, il vend à perte car cette somme  lui sert en effet à payer ses charges, c'est-à-dire l'alimentation des vaches, les bâtiments, les véhicules, les dépenses vétérinaires... Des dépenses qui varient considérablement selon qu'il s'agit d'un éleveur indépendant (70 000 élevages laitiers comptent en moyenne 58 vaches) ou d'une grande structure.