lundi 23 avril 2018

Réforme du stationnement : des couacs en série au démarrage

Réforme du stationnement : des couacs en série au démarrage

Réforme du stationnement : des couacs en série au démarrage

Horodateurs bâchés pendant un mois à Tours, faux contrôle à Paris, verbalisation à tort de personnes handicapées, retour au stationnement gratuit dans certaines villes… Une des réformes les plus technocratiques des dernières années aura réussi à faire plusieurs fois la une des journaux grand public depuis le 1er janvier ! Au moins, grâce à cette publicité dont les pouvoirs publics se serait bien passés, les Français ont entendu parler du forfait de post-stationnement, qui succède à l'amende pénale à 17 euros et dont le montant est fixé par chaque commune, et savent que les contrôles sont plus intenses que par le passé…

S'il est encore trop tôt pour faire un premier bilan, des tendances ressortent, admet le Groupement des autorités responsables de transport, l'un des premiers promoteurs de la réforme. « Nous avons fait un recensement auprès d'une trentaine de villes ; les niveaux de mise en œuvre sont très disparates. Sur les 800 communes concernées, la plupart des villes de plus de 10 000 habitants ont toutes délibéré sur le montant du FPS et l'organisation du contrôle. 300 communes comptent moins de 10 000 habitants : nous manquons d'informations pour une bonne partie d'entre elles ; certaines n'ont peut-être pas encore délibéré. Il y a eu des retards et des ajustements au démarrage », commente le GART.

Beaucoup ont connu des difficultés techniques avec leurs nouveaux horodateurs en janvier. Et pour cause : la société Parkeon, qui possède 80 % du parc d'horodateurs en France, a été très sollicitée en décembre et janvier. « Il y a eu des problèmes d'interface entre les logiciels de différents acteurs, reconnaît Edouard Lecomte, directeur général de la Fédération nationale des métiers du stationnement (FNMS) : prestataire chargé de l'entretien des horodateurs, solutions de paiement par smartphone, Agence nationale nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI)… ». Dans la plupart des communes, l'ANTAI est censée envoyer directement les FPS au domicile des contrevenants. Mais, là aussi, beaucoup de retard a été pris.

Du retard à l'allumage

La ville de Saint-Pierre de la Réunion a décidé du montant de son FPS le 20 décembre 2017. Conséquence : « Nous verbalisons les usagers qui n'ont pas payé leur stationnement depuis début mars », indique Christian Lauret, directeur général délégué de la SPL Opus, à laquelle la commune a délégué la surveillance et le contrôle.  « Nous avons repris les six agents de surveillance de la voie publique (ASVP) de la ville, ainsi qu'une policière chef de brigade, qui est responsable des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) ».

Face à la complexité de la réforme, ou pour éviter de changer les horodateurs, ou encore pour ne pas braquer les automobilistes, une soixantaine de villes ont renoncé à leurs places payantes de stationnement et les ont converties en places gratuites avec une durée limitée, via le disque bleu.

Des concessions aux usagers

Ailleurs, là où la réforme a été déclinée, une soixantaine de pétitions auraient circulé localement contre le montant du FPS et les contrôles renforcés. Face à la grogne des usagers, la ville de Menton a baissé son FPS de 34 à 17 euros. Au Puy-en-Velay, il est passé de 25 à 20 euros.

A Bordeaux, le montant n'a pas changé (30 ou 35 euros), mais un « FPS minoré » de 5 euros seulement a finalement été accordé aux contrevenants qui paient dans les 48 heures. Dans la capitale girondine, la réforme s'est accompagnée d'une augmentation du nombre de places payantes. Mais devant la fronde des riverains, la municipalité a renoncé à étendre le stationnement payant au-delà des boulevards.

Des contrôles beaucoup plus rigoureux

Le contrôle est sur les rails. « La société Moovia, à qui nous avons délégué la surveillance, dresse en moyenne 30 000 à 35 000 FPS par mois », précise Nicolas Andreotti, directeur de la police municipale et de tranquillité publique de Bordeaux. Pour autant, « il n'y a pas 'intéressement au FPS ! Les agents de Moovia sont rémunérés au nombre de passages dans les rues, repéré par la géolocalisation. Car plus ils sont visibles, plus ils dissuadent les conducteurs de frauder ».

A La Roche-sur-Yon, la transition s'est faite sans grands heurts. « La surveillance est assuré en régie par nos sept ASVP. Il n'y a pas de chiffre à atteindre. Le nombre de FPS dressés est inférieur de 25 % à celui des amendes pénales », souligne Patrick Durand, adjoint au maire en charge de la voirie.

Le nombre de recours est faible : 2 % des FPS sont contestés en moyenne. « Certains sont justifiés, car l'usager n'a pas bien renseigné son numéro de plaque sur l'horodateur, indique Mahmoud Sall, responsable du service de gestion du stationnement et du domaine public. Dans ce cas, le recours est accepté, bien entendu ».

De son côté, l'étude du GART portant sur une trentaine de villes relève globalement « davantage de paiements spontanés qu'avant la réforme, et moins de FPS que d'amendes pénales ».

Autre enseignement : le principe du « FPS minoré » se révèle pertinent pour pousser les gens à payer. Mais seulement 27 % des collectivités l'ont mis en place, selon la FNMS. Autres mécanismes incitatifs : les facilités de paiement, que ce soit à l'horodateur ou via une appli.

Paiements spontanés en hausse et rotation effective

A Paris, en janvier et février, plus de 4 millions de voitures ont été contrôlées, et 480 500 FPS dressés – soit 10 %. « Le taux de respect du stationnement payant a dépassé 20 % en janvier, contre 7 % l'année dernière, se réjouit Christophe Najdovski, adjoint en charge des transports, des déplacements et de la voirie. Et nous avons de nombreux témoignages d'utilisateurs qui trouvent maintenant des places bien plus facilement, notamment parmi les artisans ».

Car tel est l'objectif ultime de la réforme : favoriser la rotation des voitures. C'est en bonne voie à Paris. Ailleurs, on trouve des chiffres encore plus probants : Strasbourg – qui, contrairement à Paris, n'a pas de soucis avec son délégataire Streeteo – indique un taux de respect de 82 %, contre 27 % auparavant. Bordeaux avance un taux de 93 %, contre 55 % avant la réforme ! A la Roche-sur-Yon, même constat : « La rotation est meilleure, 15 % des places sont libres aux heures de pointe et 25 % aux heures creuses », se félicite Patrick Durand.

Malgré des couacs au départ, la réforme fait donc son chemin. Reste à signer les conventions encore en attente avec l'ANTAI, et, pour les villes touristiques qui n'ont du stationnement payant qu'en été, à délibérer rapidement sur les tarifs. Puis il faudra, d'ici le 1er octobre, définir le niveau de reversement des FPS par les communes aux EPCI pour leur permettre de financer des opérations de mobilité durable. Un vaste chantier financier en perspective.

Focus

 « Cette réforme est une usine à gaz difficilement compréhensible par l'usager »

Christophe Counil, adjoint au maire du Mans en charge du stationnement (Sarthe, 143 000 habitants)

« Vu les bugs informatiques au tout début avec les horodateurs, nous avons temporairement mis le stationnement gratuit en janvier. Cela a dû induire de la confusion et poussé certains usagers à prendre de mauvaises habitudes. En février, le stationnement est redevenu payant, mais en lisant sur l'horodateur « FPS : 30 euros », certains ne payaient pas ; d'autres payaient 30 euros directement ! Allez leur expliquer que le coût de 2 heures de stationnement est de 4 euros, et qu'il passe à 30 euros au-delà…Cette réforme est une usine à gaz difficilement lisible par les automobilistes. Aujourd'hui, le taux de paiement spontané à l'horodateur n'est pas bon et le nombre de FPS est élevé ; ce n'est pas le but de la réforme. Nos agents ont dressé 4000 FPS en février – soit deux fois plus que les amendes pénales en février 2017. Pourtant ce sont les mêmes agents qu'avant qui contrôlent. Plusieurs villes m'ont dit avoir suspendu la réforme pendant plusieurs semaines parce que ça ne marchait pas ».

Focus

Des contrôles à géométrie variable

Plusieurs villes se sont équipées de véhicules à lecture automatique des plaques d'immatriculation (LAPI). Connecté aux horodateurs, le système LAPI détecte d'emblée, après photographie, les véhicules qui n'ont pas payé leur stationnement. En novembre dernier, la CNIL avait souligné qu'une voiture LAPI ne pouvait pas verbaliser directement : un agent doit se rendre sur place, en temps réel, pour confirmer l'infraction.  Et ce pour éviter de verbaliser à tort des personnes ayant un abonnement spécifique.

Mais toutes les ne suivent le protocole à la lettre. A Pau, les personnes handicapées (qui bénéficient de la gratuité) et les professionnels (qui ont des abonnements à l'année) sont invités à déclarer leur numéro de plaque en mairie : « Il est donc inutile d'envoyer un agent sur place, puisque les véhicules de ces usagers sont reconnus par le système LAPI », indique Cyrille Fraize, directeur adjoint prévention-sécurité publique. Mais seul un numéro de véhicule peut être enregistré ; or pour l'Association des paralysés de France, cette mesure est contraignante : « Les personnes handicapées peuvent circuler dans des véhicules différents. Et faut-il qu'elles s'enregistrent dans toutes les villes où elles se déplacent ? » Quant aux abonnés résidents, risquent-ils d'être verbalisés à tort ? Et qu'en est-il de la personne qui est en train de payer à l'horodateur ? « Le système est réinterrogé au bout de 15 minutes », répond la ville de Pau.

En fin de journée, dans les locaux de la police municipale, « les agents qui étaient dans la voiture effectuent, d'après les photos, un contrôle a posteriori de toutes les infractions ». Or la CNIL recommande une sanction établie en temps réel, sur place, par un agent, pour éviter toute erreur. La ville de Saint-Denis ne suit pas non plus le protocole à la lettre : Philippe Caro, conseiller municipal d'opposition, parle même sur son blog d'un usage « illégal » du système LAPI.

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