La tactique du bannissement
Nous sommes tous des Mithridate… L'histoire – peut-être légendaire – veut que ce roi rival de Rome, craignant l'assassinat par le poison, en absorbait chaque jour une petite quantité pour s'immuniser. C'est le même traitement que nous subissons en matière de libertés publiques : loi après loi, mesure après mesure, nous succombons à une habitude du poison, qui finit par écorner sérieusement le droit des citoyens.
Le cas du journaliste Gaspard Glanz, gardé à vue quarante-huit heures puis banni des défilés jusqu'en octobre, en est l'illustration parfaite. On peut disserter longuement sur les qualités et les défauts de ce reporter qui couvre les affrontements entre manifestants et policiers. Biais «antiflic», manie de la provocation verbale, vidéos à sens unique qui mettent en lumière les violences policières (qui existent) mais sont plus discrètes sur les violences des manifestants (qui existent tout autant). Mais ce sont des considérations déontologiques et non pénales. On peut rappeler que le «doigt d'honneur» dont il a gratifié un membre des forces de l'ordre tombe sous le coup de la loi (quoique consécutif à une bousculade musclée). Mais cet impair s'est soldé par une détention de toute évidence disproportionnée et, surtout, par une interdiction de se rendre sur les lieux des manifestations pendant près de six mois.
Cette censure préalable, quoique légale, pose un problème de principe : peut-on préjuger d'une intention ? Alors même que ce journaliste franc-tireur, s'il est souvent provocant, n'a jamais été condamné pour violence ? C'est réprimer un délit avant qu'il ne se commette. Nous ne sommes pas loin du film de Spielberg Minority Report, où Tom Cruise dirige une unité spéciale chargée de prévenir par la force les actes projetés par tel ou tel délinquant en puissance. Ainsi l'Etat devin décide à l'avance de ceux qui seront ou ne seront pas auteurs de violences. Ainsi le «nouveau monde» rejoint le futur sinistre dessiné par les auteurs d'anticipation.
Il ne s'agit pas seulement d'une atteinte à la liberté d'informer. Cette menace plane sur tout un chacun, dès lors qu'il souhaite manifester ses désaccords sur la voie publique. Déjà placé sous surveillance permanente par la multiplication des caméras sur la voie publique, le traçage de ses faits et gestes par des moyens numériques et l'espionnage des communications sur les réseaux, le citoyen doit subir les augures d'un pouvoir qui prétend mieux connaître que lui-même ses intentions délictueuses. Aurait-on imaginé, il y a dix ou vingt ans, voir advenir un tel dispositif, que le public aurait parlé de science-fiction. Nous y sommes.
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