« Sécurité globale » : l'Assemblée nationale vote pour la Technopolice
L'Assemblée nationale vient de voter la proposition de loi de « Sécurité Globale ». Déposée le 20 octobre dernier, elle a donc été examinée en commission des lois, débattue en séance publique puis votée en à peine un mois, alors que l'agenda parlementaire était déjà surchargé. Outre le caractère liberticide de plusieurs de ses dispositions, le gouvernement et sa majorité viennent de faire adopter un texte très certainement inconstitutionnel. Espérons que le Sénat saura se montrer à la hauteur des enjeux et refusera cette nouvelle atteinte à nos libertés.
Nous avons dès le début alerté sur plusieurs dispositions particulièrement dangereuses de ce texte. L'article 21, qui autorise la transmission en direct des images filmées par les caméras-piétons de la police et de la gendarmerie à un centre de commandement – et qui facilite ainsi leur analyse automatisée, comme la reconnaissance faciale. L'article 22, qui autorise la police à surveiller nos villes, nos rues et nos manifestations avec des drones. L'article 24, évidemment, qui nous interdit de dénoncer les violences policières.
Le passage-éclair en commission des lois nous a effrayé encore un peu plus. Nous avons relaté l'ambiance lugubre et fuyante des débats entre des rapporteur·euses aux ordres des syndicats de police, et des député·es de l'opposition insulté·es et méprisé·es. Le texte y a été étoffé de nouvelles dispositions pour que la police puisse avoir plus facilement accès aux caméras dans nos halls d'immeubles et pour étendre, encore un peu, le nombre de personnes pouvant visionner les images de la voie publique (on en parlait ici).
Nous avons ensuite suivi, mot par mot, les débats en séance publique. Ceux-ci, comme l'attention médiatique, étaient particulièrement concentrés sur l'article 24 et ses conséquences sur la liberté de la presse. À l'issue des débats, cet article n'a d'ailleurs en aucun cas été arrangé mais, au contraire, aggravé, s'étendant à la police municipale. L'article 22, majeur pourtant, a été lui débattu vendredi en pleine nuit et voté à 1h du matin, alors que le ministre de l'intérieur ne prenait même plus la peine de répondre aux parlementaires.Il est particulièrement difficile de voir un texte qui aura autant de conséquences sur nos libertés être voté aussi vite et dans des conditions aussi déplorables. Quand on le lit à la lumière du livre blanc de la sécurité intérieure et du schéma national de maintien de l'ordre publiés récemment, on comprend que ce texte veut faire entrer la surveillance dans une nouvelle ère : celle de la multiplication des dispositifs de captations d'images (caméras fixes, caméras sur les uniformes, caméras dans le ciel), de leur croisement afin de couvrir toutes nos villes (espaces publics ou privés) et de leur analyse massive par des algorithmes, avec en tête la reconnaissance faciale.
Si en 2019, grâce au fichier TAJ, il y a déjà eu plus de 375 000 traitements de reconnaissance faciale faits par la police en France, combien y en aura-t-il en 2021 quand chaque coin de rue sera filmé et analysé en direct ? Comment croire en l'intérêt d'un encadrement quand un tel pouvoir de surveillance est donné aux gouvernants ? Comment faire confiance à la majorité parlementaire et au gouvernement qui nous assure que la reconnaissance faciale sur les images des drones et caméras-piétons ne sera pas permise par ce texte – ce qui est juridiquement faux –, alors même que tous les amendements visant à écarter explicitement cette possibilité ont été rejetés ?
Ce texte, que vient donc d'adopter l'Assemblée nationale, c'est celui de la Technopolice. Celle que nous dénonçons depuis deux ans : une dystopie préparée par ceux qui prétendent nous gouverner, la mise sous coupe réglée de nos villes pour en faire une vaste entreprise de surveillance.La prochaine étape se jouera au Sénat, pas avant janvier si l'on en croit son calendrier. Nous en sommes réduits à espérer que celui-ci prenne son rôle au sérieux et vienne rappeler à la majorité présidentielle les bases du respect des libertés et de nos droits. Il faudra en tous cas, et quoiqu'il arrive, maintenir la pression sur nos institutions pour que ce texte disparaisse, ne revienne jamais, et que la voix des citoyens et citoyennes – mobilisé·es massivement – soient entendue.