Medef: les 3 erreurs stratégiques de com' de Pierre Gattaz que son successeur devra réparer
Le bilan n'est pas tendre.
ENTREPRISES - Le "Medef de combat" cher à Pierre Gattaz touche à sa fin, et c'est peu dire qu'il a fait des dégâts. "Je sors de mes cinq ans de mandat plus serein que quand j'y suis rentré", a-t-il confié en mai, au moment de la publication d'un petit opus intitulé "2013-2018, regard sur cinq années de combats".
Tant mieux pour lui, tant pis pour le Medef, qui élit ce mardi 3 juillet son nouveau président. Car le syndicat des grands patrons sort plutôt mal en point de son quinquennat. Si Pierre Gattaz peut légitimement s'attribuer en partie l'obtention d'allègements de charge pour les entreprises, comme le CICE, ou la suppression de l'ISF, il a sapé allègrement le travail d'image de sa prédécesseur Laurence Parisot (2005-2013).
Quand elle s'est démenée pour tourner la page Ernest-Antoine Séllière, c'est-à-dire casser l'image de syndicat grand bourgeois, insensible au sort des employés, Pierre Gattaz a cultivé l'impression d'un patronat sans état d'âme. "Il a un côté bulldozer", concède un représentant patronal.
En interne, "ses erreurs de communication" ont agacé. Et les candidats à sa succession, dont le vainqueur sera désigné le 3 juillet, savent déjà qu'ils ont du pain sur la planche de ce point de vue. Selon un sondage OpinionWay commandé par le mouvement patronal Ethic, 66% des Français ont une mauvaise image du Medef et 55% pensent qu'il ne représente pas bien les entreprises.
Une situation dont sont conscients les candidats à l'élection. "Le Medef mourra certainement s'il ne se transforme pas", estime Alexandre Saubot, un des favoris. "Nos corps intermédiaires sont tous malades et peuvent mourir", juge aussi Frédéric Motte, qui appelle à réinventer le mouvement.
Autre prétendant bien placé dans la course, Geoffroy Roux de Bézieux veut dans ce contexte incarner "un Medef de propositions".
Patrick Martin, qui s'est allié à Fabrice Le Saché et Pierre Brajeux, ambitionne pour sa part de "défendre un projet de rénovation" de l'organisation.
- "Un million d'emplois", la promesse boomerang
Sa première erreur lui colle à la peau depuis 2013 comme un pin's au revers de son veston: la promesse de créer "un million d'emplois" en échange d'allègements de charges. A l'époque, il met le paquet, et va justement jusqu'à créer des pin's pour en faire la promotion devant les caméras.
La promesse laisse perplexe, pour commencer, puis tourne à la farce lorsque Le Canard enchaîné révèle que les pin's ont été pour partie fabriqués en République tchèque. En 2016, Le Canard, toujours, dévoile que des dizaines de milliers de ces pin's, toujours en stock, vont être détruits. L'objet est devenu collector, mais pas pour les bonnes raisons.
D'un point de vue plus sérieux, le bilan fait encore plus débat. "Figurez-vous qu'aujourd'hui nous sommes à 680 000 emplois au bout de 3 ans, sans avoir fait toutes les réformes. (...) Nous sommes autour de 700 000 [emplois], sur un rythme de 300 000 emplois par an, à la fin de l'année nous serons proches du 1 million d'emplois", a-t-il déclaré sur France Inter le 26 avril.
Mais quelle est la part du "pacte de responsabilité" de François Hollande dans cette hausse? Pour les économistes, la croissance française, et celle de ses entreprises, est avant tout à mettre sur la bonne conjoncture internationale et la baisse du prix du pétrole. Beaucoup moins au talent du patron des grandes patrons.
- Un Medef "geignard et vindicatif"
L'expression a été retenue par un édito du Monde, d'habitude plus mesuré. Mais entre le Pacte de responsabilité et le CICE, il est vrai que Pierre Gattaz a donné l'image d'un patronat plus préoccupé d'obtenir des faveurs fiscales de l'Etat que de plancher sur les défis de l'innovation, comme l'Intelligence artificielle.
Surtout, il a fait scandale dès 2014 en refusant que les aides soient soumises à des contreparties. "Quand j'entends parler de contreparties dans ce pacte, j'entends aussi des gens qui me disent : 'Si vous n'y arrivez pas, vous allez être punis.' (...) On n'est pas dans une cour d'école", déclare-t-il alors, peu avant d'obtenir gain de cause.
De fait, à l'issue du quinquennat de François Hollande, les entreprises sont les grandes gagnantes de son bilan fiscal. Selon l'OFCE, le tour de vis des deux premières années a été suivi de réductions d'impôts conséquentes: 20,5 milliards sur la mandature, contre une hausse de 30,5 pour les ménages.
Mais ce n'est pas tout. En parallèle, il a multiplié les prises de position à la limite de la provocation. Il y a eu le "smic intermédiaire", plus faible, pensé pour les jeunes en avril 2014. En 2016, il a traité la CGT de "minorités qui se comportent un peu comme des voyous, comme des terroristes" dans un entretien au Monde.
En 2017, il attaquait bille en tête l'éducation nationale avec ce slogan: "Si l'école faisait son travail, j'aurais du travail."
"Si l'école faisait son travail, j'aurais du travail" : le ministre de l'Éducation exige le retrait du slogan du… http://dlvr.it/PpSsk0
— LCI (@LCI)
- À la traîne sur les sujets sociétaux...
Impôt sur la fortune, pénibilité, réforme de l'assurance chômage... Au cours de ces cinq années, le patron des patrons a ferraillé dur avec les syndicats et les gouvernements successifs, soulevant régulièrement des polémiques en raison de son franc parler.
Mais selon Michel Offerlé, professeur à l'Ecole normale supérieure, "les cinq années Gattaz n'auront guère renouvelé le Medef". "Pas de restructuration interne, pas d'ambitions sociétales à la Parisot", explique-t-il. "Il y a bien eu une volonté de faire du Medef un lieu central de réflexion sur la société française et les transformations profondes, mais celle-ci a peu trouvé d'échos".
Pierre Gattaz s'est retrouvé en réaction à chacune des polémiques sur les salaires des patrons qui ont émaillés sont mandats. Carlos Ghosn chez Renault, Carlos Tavares chez PSA, Georges Plassat chez Carrefour... Le "code de bonne conduite" adoptée à contre-cœur pour moraliser les comportements a très prouvé son inefficacité.
Résultat, l'organisation patronale est aujourd'hui contrainte "d'accompagner le mouvement réformateur macronien qui est crédité d'une connaissance de l'entreprise, d'un sens de l'attractivité et de la compétitivité de la France, et d'une capacité à 'libérer' les entreprises et leurs chefs", observe Michel Offerlé, se demandant si le Medef n'était pas d'une certaine manière, "aux yeux des dirigeants politiques actuels, un représentant de l'ancien monde".
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