"Un lecteur de lundimatin qui s’avère être médecin anesthésiste-réanimateur nous fait par de ses impressions sur les deux dernières années, depuis le début de la pandémie au printemps 2020 jusqu’à la vaccination de masse et la situation actuelle. Il décrit l’évolution de l’ambiance, allant d’un travail d’équipe pour faire face à la situation exceptionnelle jusqu’à l’imposition de règles de plus en plus absurdes et la stigmatisation aberrante croissante des non-vaccinés." .../...
RENTRÉE 2021
"Je ne vais pas refaire la critique du pass sanitaire, des auteurs plus fins l’ont déjà fait dans vos colonnes. Disons que je suis autant favorable à la vaccination que je suis farouchement opposé au pass sanitaire. Mais j’ai la lucidité de ne pas confondre une innovation aussi époustouflante qu’un vaccin à ARNm avec une objet sacré, le sacré tolérant assez mal la moindre faille.
La presse recensant un certain nombre de cris d’alerte relatifs à la déliquescence avancée et organisée de notre hôpital public, je voudrais attirer l’attention sur un fait nouveau au sein des équipes hospitalières : la haine. La haine sourde qui commença à poindre contre les non-vaccinés. Haine qui apparut dans le sillage de l’allocution jupitérienne de juillet et de la désignation comme boucs-émissaires de celles et ceux qui refusaient ou simplement hésitaient et attendaient. Le choix du mot haine n’est pas fortuit, car ce qui pointa dans les équipes dépassa largement les affects assez fréquents (et légitimes somme toute) d’agacement ou de colère que l’on peut ressentir face à certains patients, tel le diabétique hospitalisé pour une énième complication mais qui persévère dans son inobservance thérapeutique depuis dix ans. Moi-même je m’agace par moment face à ces patients. Mais jamais il ne m’a traversé l’esprit de refuser de les soigner, ou de les mettre en concurrence avec d’autres patients. En cas de manque de ressources (par exemple plusieurs blessés graves sur un accident et un seul SAMU disponible) seul compte normalement le bénéfice selon l’état du patient (on priorisera celui qui a le plus de chance, pas celui que l’on juge moralement digne d’être sauvé). Alors que cette fois il fut ouvertement et régulièrement dit par des personnes d’âge et de profession différentes qu’il était envisageable selon eux de ne pas soigner les non vaccinés. Le tout appuyé par l’intégration du discours officiel basé sur le degré zéro des notions de liberté et de responsabilité (un collègue soixantenaire bronchitique chronique a pu me soutenir ces idées pendant sa pause cigarette). Un sentiment de haine, insidieusement distillé par le haut (pour une fois que la théorie du ruissellement se vérifie), et alimenté par les difficultés extrêmes que rencontre actuellement le service public hospitalier. Un sentiment de haine déchargeant une colère qui devrait s’orienter vers les mêmes qui ruinent l’hôpital depuis de nombreuses années. Un sentiment tellement brut qu’il en aveugle ses dépositaires quant à ses implications : soignera-t-on demain le jeune homme qui se plante ivre en voiture ? Le fumeur qui fait un infarctus ? Ou un cancer du poumon ? Le niveau de soin sera-t-il basé sur un certificat de bonne vie hygiénique ? Cette dernière éventualité paraît extrême, mais notons que la science-fiction s’en est déjà emparée.
Par chance ce rappel de la charité inhérente au soin calme aisément les ardeurs, mais l’entaille est malgré tout déjà faite et il est toujours à craindre qu’elle s’élargisse. Pour le bien de l’humanité doublons le nombre d’heures de philosophie au lycée."
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LETTRE D’UN ANESTHÉSISTE-RÉANIMATEUR
"Un lecteur de lundimatin qui s’avère être médecin anesthésiste-réanimateur nous fait par de ses impressions sur les deux dernières années, depuis le début de la pandémie au printemps 2020 jusqu’à la vaccination de masse et la situation actuelle. Il décrit l’évolution de l’ambiance, allant d’un travail d’équipe pour faire face à la situation exceptionnelle jusqu’à l’imposition de règles de plus en plus absurdes et la stigmatisation aberrante croissante des non-vaccinés."
.../...
RENTRÉE 2021
"Je ne vais pas refaire la critique du pass sanitaire, des auteurs plus fins l’ont déjà fait dans vos colonnes. Disons que je suis autant favorable à la vaccination que je suis farouchement opposé au pass sanitaire. Mais j’ai la lucidité de ne pas confondre une innovation aussi époustouflante qu’un vaccin à ARNm avec une objet sacré, le sacré tolérant assez mal la moindre faille.
La presse recensant un certain nombre de cris d’alerte relatifs à la déliquescence avancée et organisée de notre hôpital public, je voudrais attirer l’attention sur un fait nouveau au sein des équipes hospitalières : la haine. La haine sourde qui commença à poindre contre les non-vaccinés. Haine qui apparut dans le sillage de l’allocution jupitérienne de juillet et de la désignation comme boucs-émissaires de celles et ceux qui refusaient ou simplement hésitaient et attendaient. Le choix du mot haine n’est pas fortuit, car ce qui pointa dans les équipes dépassa largement les affects assez fréquents (et légitimes somme toute) d’agacement ou de colère que l’on peut ressentir face à certains patients, tel le diabétique hospitalisé pour une énième complication mais qui persévère dans son inobservance thérapeutique depuis dix ans. Moi-même je m’agace par moment face à ces patients. Mais jamais il ne m’a traversé l’esprit de refuser de les soigner, ou de les mettre en concurrence avec d’autres patients. En cas de manque de ressources (par exemple plusieurs blessés graves sur un accident et un seul SAMU disponible) seul compte normalement le bénéfice selon l’état du patient (on priorisera celui qui a le plus de chance, pas celui que l’on juge moralement digne d’être sauvé). Alors que cette fois il fut ouvertement et régulièrement dit par des personnes d’âge et de profession différentes qu’il était envisageable selon eux de ne pas soigner les non vaccinés. Le tout appuyé par l’intégration du discours officiel basé sur le degré zéro des notions de liberté et de responsabilité (un collègue soixantenaire bronchitique chronique a pu me soutenir ces idées pendant sa pause cigarette). Un sentiment de haine, insidieusement distillé par le haut (pour une fois que la théorie du ruissellement se vérifie), et alimenté par les difficultés extrêmes que rencontre actuellement le service public hospitalier. Un sentiment de haine déchargeant une colère qui devrait s’orienter vers les mêmes qui ruinent l’hôpital depuis de nombreuses années. Un sentiment tellement brut qu’il en aveugle ses dépositaires quant à ses implications : soignera-t-on demain le jeune homme qui se plante ivre en voiture ? Le fumeur qui fait un infarctus ? Ou un cancer du poumon ? Le niveau de soin sera-t-il basé sur un certificat de bonne vie hygiénique ? Cette dernière éventualité paraît extrême, mais notons que la science-fiction s’en est déjà emparée.
Par chance ce rappel de la charité inhérente au soin calme aisément les ardeurs, mais l’entaille est malgré tout déjà faite et il est toujours à craindre qu’elle s’élargisse. Pour le bien de l’humanité doublons le nombre d’heures de philosophie au lycée."
https://lundi.am/Lettre-d-un-anesthesiste-reanimateur
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