samedi 9 novembre 2013

LETTRES D’UN PERSAN



Première lettre

Après quelques jours d’un temps fort clément pour la saison d’automne où nous arrivions, je crus bien qu’ ici l’hibernation allait commencer, et mettre les habitants du pays dans cet état de léthargie vaporeuse dont ils ne sortent qu’aux beaux jours pour se faire au contraire excessivement agités et brouillons.

Eh bien non, je vis il y a quelques jours un rassemblement d’une vingtaine de personnes se mettre en ordre devant la fontaine-pagode qui fut autrefois copiée des nôtres, faire mille sourires à deux ou trois porteurs de boites à images, puis aller se réfugier dans un estaminet où ils parlèrent d’abondance sans rien consommer des bons vins du pays. Pourquoi diable aller en nombre dans un tel établissement sans y boire, épais mystère… Je finis par comprendre qu’il s’était produit là le premier geste de l’une des plus étranges démarches de ce peuple, de ce qu’ils appellent les élections. Comme j’ai pu le découvrir en effet dans les gazettes locales, la désignation des princes suit ici l’une des procédures les plus tortueuses que l’on ait pu inventer, loin de notre saine coutume qui consiste à ce que ce soit le plus vigoureux qui s’empare du trône et le garde tant que plus vigoureux que lui ne le tue pas. Donc ici chacun donne son avis et peut se proposer à l’avis des autres, on critique beaucoup et l’on promet plus encore, puis arrive un jour où chacun peut aller mettre le nom de son choix dans une boite spéciale. Evidemment les choix sont très partagés et les princes changent tout le temps, puisque le peuple en est toujours mécontent et passe à leur égard del’enthousiasme au mépris avec la plus grande aisance.

Revenons à Anduze où le destin m’a porté… Au moins ce curieux épisode d’élections me sortira de l’ennui qui me menaçait, j’ai bien vu sur divers visages l’air gourmand de ceux qui s’attendent à passer de bons moments au cours des mois prochains. Puisque ce n’est que le début je n’ai pas encore grand-chose à te conter. Il se dit que le prince actuel a bien du mal à rassembler sa garde rapprochée, ses caprices lui ayant fait bannir les plus dévoués de ses amis, et son entourage se bornant aujourd’hui à une ribambelle de braves femmes toutes palpitantes pour lui mais qui n’entendent rien aux affaires du monde. Il a néanmoins proclamé qu’il serait de nouveau candidat pour continuer le travail commencé. Ce qui est bien raisonné puisqu’il a, dit-on, si peu fait qu’il reste beaucoup à faire

Quant à ceux qui se sont unis cette semaine pour annoncer leur candidature, ils ne sont autres que ceux-là même qui étaient il y a six ans non seulement opposés au prince actuel mais également opposés entre eux. Ils disent aujourd’hui que le temps et les épreuves partagées ont fait leur œuvre, et qu’une noble estime réciproque les anime. Ils ont choisi pour les mener une dame aux habits verts, jouant quelque rôle dans la principauté générale.

Voilà pour aujourd’hui. J’espère pouvoir t’en dire plus dans ma prochaine lettre

Teskiouk.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo baron, continue c'est intéressant ! Je m'interroge sur la sobriété et les procédures tortueuses de cette poignée d'individus qui fuient la lumière ? Est-ce une secte en incubation transcendantale ? L'estaminet en question est-il ouvert au public ?

Anonyme a dit…

ha! l'éxil,la douce torpeur d'une contemplation désabusée et goguenarde comme éthérée,détachée du réel. Un rêve éveillé ou bien l'aurore d'une vie remplie,trop bien remplie et pourtant si vide de sens que rien ni personne n'en saurait rallumer la flamme.
Avec le temps,reste l'ironie,le regard, amusé,la dérision. C'est donc cela, mais il y a encore une petite lueur au fond là bas et bien que le peuple soit inconstant,ce n'est pas non plus complètement sa faute,les princes sont aussi là pour être renversés comme on brise un miroir.Celui dont tu nous parle me semble être au plus bas, et ne serait-il pas temps de le défaire.Et qu'importe que les ennemis d'hier se retrouvent côte à côte puisqu'il faut livrer bataille pour renverser un prince qui,tu me l'accorderas,manquait autant de panache que d'esprit avisé.
aussi laissons les faire,s'ils peuvent nous débarrasser de ce picador de basse-cour,il nous restera toujours à nous autres,la plaisanterie,la raillerie et l'humour pour apaiser nos âmes.
à bientôt de te lire...

Mathusalem.