« Je prélève à peu près 0,01 % » de l’eau de la mégabassine
"Si les bassines sont un révélateur des clivages qui parcourent le monde paysan, c’est parce qu’elles ont tendance à bénéficier aux grandes exploitations, au détriment des plus petites. En cause, notamment : les frais engagés pour construire l’infrastructure, et la redevance dont doivent s’acquitter les irrigants, qu’ils soient reliés ou non à la réserve, dans le territoire concerné.
Rémi Laurendeau, maraîcher irrigant sur une petite exploitation dans le périmètre de la bassine de Sainte-Soline, à laquelle il n’est pas raccordé, résume le problème : « France AgriMer a récemment annoncé des subventions pour le matériel d’irrigation. En regardant les investissements qu’il faut réaliser pour recevoir ces subventions, j’ai compris que ce n’était pas fait pour moi. »
Ces aides ne sont en effet délivrées qu’à partir de 2 000 euros d’investissement, un niveau « bien supérieur » aux frais engagés par le maraîcher, qui s’efforce « de faire de la récup’, d’investir le moins possible dans le matériel, parce que la taille de mon exploitation ne permet pas de dégager des marges suffisantes pour réinvestir autant ». Il paie pourtant son eau plus cher, car il a été tenu d’adhérer à la Coop de l’eau, l’organisme porteur de projet qui distribue les volumes d’eau dans le bassin versant, et doit donc contribuer à en financer une partie. « C’est paradoxal, quand on pense que je prélève à peu près 0,01 % du volume concerné dans le bassin sud des Deux-Sèvres », soupire Rémi Laurendeau.
Une étude de la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine souligne ainsi que les exploitations irrigantes sont en moyenne un quart plus grandes que les non-irrigantes. Elles ont des moyens de production par actif (matériel agricole, matériel d’irrigation, tracteurs, etc.) plus importants d’un quart à un tiers. Elle rappelle aussi que trois irrigants rattachés à Sainte-Soline utilisent, à eux seuls, plus de 13 % des volumes totaux de la bassine, répartis entre 26 agriculteurs. Autrement dit : la part belle des bénéfices fluctue, avant tout, vers les pontes locaux de l’agriculture."
"Invité du 12/13 info weekend, Nicolas Marjault est l'auteur de "Bassines, la guerre de l'eau". Il explique que le blocage du port de La Rochelle (Charente-Maritime) par des manifestants anti-bassines, samedi 20 juillet, explique la dimension symbolique de ce choix. Les mobilisations s'attaquent à "un système qui est complètement déconnecté des enjeux climatiques et des conditions d'habitabilité de la biosphère à long terme"."
Vers une radicalisation des positions ?
"Ces enjeux d'utilisation de l'eau, qui devient de plus en plus rare, voient s'opposer les manifestants et certains agriculteurs. "Ce n'est pas quelque chose de local, c'est mondial", explique-t-il, évoquant notamment le rationnement de l'eau à New Delhi (Inde), où s'étaient développées des "mafias de l'eau". Cette guerre de l'eau sous-jacente risque de "non seulement radicaliser, mais simplifier de manière arbitraire les positions", prévient l'auteur."
"Une étude du conflit dit des «bassines». Plongez dans des eaux troubles, celles de l'eau devenue rare, de l'eau devenue chère et par conséquent, de l'eau devenue guerre.
Fonte de la banquise, disparition des glaciers, recul de l'enneigement, montée des eaux, salinisation des nappes, assèchements des sols, le réchauffement climatique bouleverse le vivant et le non-vivant.
Même le bon vieux cycle de l'eau qui paraissait totalement indolore lorsqu'on le schématisait sur les bancs de l'école, nous apparait désormais bien plus menaçant alors que son rythme s'accélère et que ses conséquences sur la fréquence des incendies, des tempêtes, des inondations, des sécheresses ne cessent de s'imposer à nous.
Le projet des retenues de substitution qui embrase en ce moment les campagnes françaises s'inscrit dans la longue histoire de la quête de hauts rendements et de fortes valeurs ajoutées des productions agricoles au détriment de notre bien commun et vital : l'eau."
Face à l’indifférence, comment se faire entendre ?
"Tout le monde n’a pas la chance d’avoir Gérald Darmanin comme attaché de presse. Andreas Malm est un universitaire suédois de 46 ans, professeur de géographie humaine et auteur d’une thèse sur le passage de l’économie britannique à l’énergie fossile au XIXème siècle. C’est aussi un militant d’extrême gauche aguerri, dont la notoriété ne dépassait pas les cercles écolos jusqu’à la publication, en 2020, d’un ouvrage qui a fait l’effet d’une petite bombe – c’est le cas de le dire. Traduit en dix langues et ayant même été « adapté » au cinéma, « Comment saboter un pipeline » a valu à Malm, trois ans plus tard, lors de la mobilisation contre la mégabassine de Sainte-Soline, de devenir une cible privilégiée du ministre de l’Intérieur français – on va bientôt voir par quels détours étranges." (…)
"D’autres éléments troublants apparaissent. Dans une expertise à destination des opposant.es, que nous nous sommes procurée, Jérémy Savatier, membre du conseil scientifique et technique de la Société Hydrotechnique de France, relève plusieurs erreurs méthodologiques dans cette étude d’impact hydraulique. Tout d’abord, concernant cette vallée du Girou, « aucune analyse de la répartition spatiale des pluies sur le bassin versant et autour n’est présentée ». Pour une étude concernant les eaux, c’est ballot. Par ailleurs « l’approche n’est pas non plus fondée scientifiquement puisqu’on ne peut pas se baser [ce qui est pourtant fait ici] sur les résultats (…) des chroniques de 21 ans ou 38 ans pour estimer correctement un débit centennal.»
Et concernant tout le tracé, « la plus forte crue connue a été prise en référence (…) alors que, pour les infrastructures majeures, l’application de la directive inondation prévoit [une crue] de retour millénale [qui pourrait d’ailleurs devenir plus fréquente que cela avec le changement climatique] ». Ensuite, les promoteurs de cette « autoroute verte » n’ont pas pris en compte « l’impact du changement climatique sur l’hydrologie (…) que ce soit pour les cours d’eau ou pour le ruissellement ». Il affirme aussi que « sur certains secteurs [vont se créer après construction de l’autoroute] des zones inondées qui ne l’étaient pas auparavant, et également des zones précédemment inondables qui sont sur-inondées (…) avec bâtiments et activités ». Par ailleurs, il fait remarquer que « de manière étonnante, l’arrêté préfectoral [d’autorisation environnementale qui a donné feu vert aux travaux de l’autoroute] ne vise pas le Plan Gestion des Risques Inondations alors que les projets doivent être compatibles ». À croire que la Préf a voulu éviter de pointer une lacune…
Dans tous les cas, Atosca/NGE ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas au courant. Car c’est dès avril 2024 que ce lièvre est soulevé par Gilbert Hébrard, conseiller départemental (1). Lors de la Commission d’enquête parlementaire sur l’A69 (2), il déclare que « les travaux réalisés pour l’autoroute (…) nous inquiètent réellement [à cause de] l’augmentation des risques d’inondations. En effet, l’autoroute A69 traverse toute la plaine du Girou (…) inondée presque chaque année ». Il met en garde quant à « une sorte de digue qui semble se former entre l’autoroute et la rivière » et, qui à cause du « grand nombre d’affluents du Girou (…) pourrait aboutir à l’inondation des villages les plus exposés de Haute-Garonne » (3).
De quoi donner de l’eau au moulin aux opposant·es.
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« Je prélève à peu près 0,01 % » de l’eau de la mégabassine
"Si les bassines sont un révélateur des clivages qui parcourent le monde paysan, c’est parce qu’elles ont tendance à bénéficier aux grandes exploitations, au détriment des plus petites. En cause, notamment : les frais engagés pour construire l’infrastructure, et la redevance dont doivent s’acquitter les irrigants, qu’ils soient reliés ou non à la réserve, dans le territoire concerné.
Rémi Laurendeau, maraîcher irrigant sur une petite exploitation dans le périmètre de la bassine de Sainte-Soline, à laquelle il n’est pas raccordé, résume le problème : « France AgriMer a récemment annoncé des subventions pour le matériel d’irrigation. En regardant les investissements qu’il faut réaliser pour recevoir ces subventions, j’ai compris que ce n’était pas fait pour moi. »
Ces aides ne sont en effet délivrées qu’à partir de 2 000 euros d’investissement, un niveau « bien supérieur » aux frais engagés par le maraîcher, qui s’efforce « de faire de la récup’, d’investir le moins possible dans le matériel, parce que la taille de mon exploitation ne permet pas de dégager des marges suffisantes pour réinvestir autant ». Il paie pourtant son eau plus cher, car il a été tenu d’adhérer à la Coop de l’eau, l’organisme porteur de projet qui distribue les volumes d’eau dans le bassin versant, et doit donc contribuer à en financer une partie. « C’est paradoxal, quand on pense que je prélève à peu près 0,01 % du volume concerné dans le bassin sud des Deux-Sèvres », soupire Rémi Laurendeau.
Une étude de la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine souligne ainsi que les exploitations irrigantes sont en moyenne un quart plus grandes que les non-irrigantes. Elles ont des moyens de production par actif (matériel agricole, matériel d’irrigation, tracteurs, etc.) plus importants d’un quart à un tiers. Elle rappelle aussi que trois irrigants rattachés à Sainte-Soline utilisent, à eux seuls, plus de 13 % des volumes totaux de la bassine, répartis entre 26 agriculteurs. Autrement dit : la part belle des bénéfices fluctue, avant tout, vers les pontes locaux de l’agriculture."
https://reporterre.net/Les-megabassines-symbole-de-la-lutte-des-classes-chez-les-paysans
"Invité du 12/13 info weekend, Nicolas Marjault est l'auteur de "Bassines, la guerre de l'eau". Il explique que le blocage du port de La Rochelle (Charente-Maritime) par des manifestants anti-bassines, samedi 20 juillet, explique la dimension symbolique de ce choix. Les mobilisations s'attaquent à "un système qui est complètement déconnecté des enjeux climatiques et des conditions d'habitabilité de la biosphère à long terme"."
Vers une radicalisation des positions ?
"Ces enjeux d'utilisation de l'eau, qui devient de plus en plus rare, voient s'opposer les manifestants et certains agriculteurs. "Ce n'est pas quelque chose de local, c'est mondial", explique-t-il, évoquant notamment le rationnement de l'eau à New Delhi (Inde), où s'étaient développées des "mafias de l'eau". Cette guerre de l'eau sous-jacente risque de "non seulement radicaliser, mais simplifier de manière arbitraire les positions", prévient l'auteur."
https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/mega-bassine/manifestations-anti-bassines-ce-n-est-pas-quelque-chose-de-local-c-est-mondial-explique-l-auteur-nicolas-marjault_6677118.html
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Bassines : La guerre de l'eau
"Une étude du conflit dit des «bassines». Plongez dans des eaux troubles, celles de l'eau devenue rare, de l'eau devenue chère et par conséquent, de l'eau devenue guerre.
Fonte de la banquise, disparition des glaciers, recul de l'enneigement, montée des eaux, salinisation des nappes, assèchements des sols, le réchauffement climatique bouleverse le vivant et le non-vivant.
Même le bon vieux cycle de l'eau qui paraissait totalement indolore lorsqu'on le schématisait sur les bancs de l'école, nous apparait désormais bien plus menaçant alors que son rythme s'accélère et que ses conséquences sur la fréquence des incendies, des tempêtes, des inondations, des sécheresses ne cessent de s'imposer à nous.
Le projet des retenues de substitution qui embrase en ce moment les campagnes françaises s'inscrit dans la longue histoire de la quête de hauts rendements et de fortes valeurs ajoutées des productions agricoles au détriment de notre bien commun et vital : l'eau."
Face à l’indifférence, comment se faire entendre ?
"Tout le monde n’a pas la chance d’avoir Gérald Darmanin comme attaché de presse. Andreas Malm est un universitaire suédois de 46 ans, professeur de géographie humaine et auteur d’une thèse sur le passage de l’économie britannique à l’énergie fossile au XIXème siècle. C’est aussi un militant d’extrême gauche aguerri, dont la notoriété ne dépassait pas les cercles écolos jusqu’à la publication, en 2020, d’un ouvrage qui a fait l’effet d’une petite bombe – c’est le cas de le dire. Traduit en dix langues et ayant même été « adapté » au cinéma, « Comment saboter un pipeline » a valu à Malm, trois ans plus tard, lors de la mobilisation contre la mégabassine de Sainte-Soline, de devenir une cible privilégiée du ministre de l’Intérieur français – on va bientôt voir par quels détours étranges."
(…)
https://www.nouvelobs.com/ecologie/20240720.OBS91368/andreas-malm-le-penseur-ecolo-du-sabotage-qui-agace-gerald-darmanin.html
"D’autres éléments troublants apparaissent. Dans une expertise à destination des opposant.es, que nous nous sommes procurée, Jérémy Savatier, membre du conseil scientifique et technique de la Société Hydrotechnique de France, relève plusieurs erreurs méthodologiques dans cette étude d’impact hydraulique. Tout d’abord, concernant cette vallée du Girou, « aucune analyse de la répartition spatiale des pluies sur le bassin versant et autour n’est présentée ». Pour une étude concernant les eaux, c’est ballot. Par ailleurs « l’approche n’est pas non plus fondée scientifiquement puisqu’on ne peut pas se baser [ce qui est pourtant fait ici] sur les résultats (…) des chroniques de 21 ans ou 38 ans pour estimer correctement un débit centennal.»
Et concernant tout le tracé, « la plus forte crue connue a été prise en référence (…) alors que, pour les infrastructures majeures, l’application de la directive inondation prévoit [une crue] de retour millénale [qui pourrait d’ailleurs devenir plus fréquente que cela avec le changement climatique] ». Ensuite, les promoteurs de cette « autoroute verte » n’ont pas pris en compte « l’impact du changement climatique sur l’hydrologie (…) que ce soit pour les cours d’eau ou pour le ruissellement ». Il affirme aussi que « sur certains secteurs [vont se créer après construction de l’autoroute] des zones inondées qui ne l’étaient pas auparavant, et également des zones précédemment inondables qui sont sur-inondées (…) avec bâtiments et activités ». Par ailleurs, il fait remarquer que « de manière étonnante, l’arrêté préfectoral [d’autorisation environnementale qui a donné feu vert aux travaux de l’autoroute] ne vise pas le Plan Gestion des Risques Inondations alors que les projets doivent être compatibles ». À croire que la Préf a voulu éviter de pointer une lacune…
Dans tous les cas, Atosca/NGE ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas au courant. Car c’est dès avril 2024 que ce lièvre est soulevé par Gilbert Hébrard, conseiller départemental (1). Lors de la Commission d’enquête parlementaire sur l’A69 (2), il déclare que « les travaux réalisés pour l’autoroute (…) nous inquiètent réellement [à cause de] l’augmentation des risques d’inondations. En effet, l’autoroute A69 traverse toute la plaine du Girou (…) inondée presque chaque année ». Il met en garde quant à « une sorte de digue qui semble se former entre l’autoroute et la rivière » et, qui à cause du « grand nombre d’affluents du Girou (…) pourrait aboutir à l’inondation des villages les plus exposés de Haute-Garonne » (3).
De quoi donner de l’eau au moulin aux opposant·es.
Alors, touché, coulé ?"
https://lempaille.fr/la69-prend-leau
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