Envoyé par JL
Les différentes communautés chrétiennes de Palestine sont menacées et leur résistance face aux évangélistes américains est significative.
Munther Isaac, pasteur de Bethléem, dénonce l’« apartheid » en Palestine
•Par Alice Papin
Pour le pasteur luthérien de Bethléem, Munther Isaac, la réconciliation en Israël-Palestine ne pourra se réaliser qu'à travers une plus grande justice et une reconnaissance des crimes commis par les autorités israéliennes.
Le pasteur Munther Isaac à l’église évangélique luthérienne de Beit Sahour, en Cisjordanie, le 13 avril. - THOMAS DÉVÉNYI / HANS LUCAS
Théologien chrétien palestinien, Munther Isaac, 45 ans, est le pasteur de l’Église luthérienne évangélique de Noël à Bethléem et de l’Église luthérienne de Beit Sahour, toutes deux situées en Cisjordanie, sa terre natale. Défenseur d’une résistance radicale et pacifique à l’occupation israélienne, il intervient régulièrement tant au niveau local qu’international. Malgré la gravité de situation actuelle, il demeure convaincu de la possibilité d’une réconciliation. Passionné de football, il rêve qu’un jour ses fils puissent jouer au ballon avec des enfants israéliens. En ce temps de l’Avent, encore marqué par la guerre, Munther Isaac a accepté de répondre aux questions de Réforme sur le conflit israélo-palestinien. Ses mots sont percutants, sans fard.
Le 25 novembre, sur le réseau social X, vous racontiez qu’une autre barrière a été installée par l’armée israélienne à l’entrée de Bethléem. Pouvez-vous en dire plus sur la situation actuelle en Cisjordanie que vous décrivez comme invivable ?
Avant le 7-Octobre, Bethléem faisait déjà l’objet de nombreuses restrictions – checkpoints, limitations de mouvement – mais depuis, la situation s’est fortement aggravée. De nombreuses barrières ont été posées aux entrées et sorties de la ville. Certaines routes sont complètement bloquées, et les autorisations dont disposaient de nombreux Palestiniens pour se rendre à Jérusalem ont été révoquées. Actuellement, il n’y a que deux routes permettant de sortir ou d’entrer à Bethléem. Si Israël ferme ces deux routes, elle deviendra une autre Gaza. Ces restrictions provoquent de gros embouteillages à l’intérieur de Bethléem et il devenu très difficile de rejoindre d’autres villes palestiniennes, telles que Ramallah ou Hébron. On a l’impression d’être dans une grande prison. Aujourd’hui, la situation en Cisjordanie est insupportable. Israël a fragmenté la Cisjordanie et pousse les Palestiniens à vivre dans des zones urbaines extrêmement denses. Ceux qui habitent en dehors, dans des zones plus isolées, souffrent énormément de la violence des colons. Je crois fermement que c’est une tentative délibérée de nous pousser lentement mais sûrement hors de la Cisjordanie, une famille à la fois.
La victoire de Donald Trump aux États-Unis a été saluée par le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, qui espère qu’elle lui offrira une liberté totale dans ses guerres à Gaza et au Liban. Comment cette élection a-t-elle été perçue à Bethléem, et plus largement en Cisjordanie ?
Donald Trump ou Joe Biden, aux yeux des Palestiniens, cela ne fait aucune différence. Joe Biden n’a aucunement aidé les Palestiniens. Il a soutenu et financé ce que nous considérons comme un génocide contre notre peuple. C’est une erreur de croire que les démocrates sont meilleurs pour les Palestiniens que les républicains. Les démocrates prétendent se soucier des Palestiniens, mais suivent finalement un programme politique similaire aux républicains. Pour les États-Unis, Israël est un allié qui protège leurs intérêts au Moyen-Orient. La justice ou le droit international ne sont pas leur priorité. Ils soutiendront Israël quoi qu’il arrive. Même lorsque l’administration Biden avait des preuves qu’Israël commettait des crimes de guerre à Gaza, elle a continué à soutenir la politique de Benyamin Nétanyahou.
Vous critiquez régulièrement le sionisme chrétien dans vos discours. Quelle est votre réaction à la nomination de Mike Huckabee, un évangélique étroitement lié aux milieux sionistes chrétiens, comme prochain ambassadeur des États-Unis en Israël ?
Lors de son premier mandat, lorsque Trump a déplacé l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, il a ouvertement déclaré : « Je l’ai fait pour les évangéliques. » Mike Huckabee n’est pas seulement un évangélique ; c’est un fervent sioniste chrétien. Il nie l’existence d’une occupation. Mais que dire des soldats qui pointent des armes vers nous lorsque j’emmène mes enfants à l’école ? Des personnalités politiques comme Mike Huckabee vivent dans une réalité différente – une réalité biblique, basée sur une interprétation fondamentaliste étroite. Sa nomination comme prochain ambassadeur des États-Unis en Israël est profondément alarmante. En tant que pasteur, je m’oppose fermement au sionisme chrétien parce qu’il va à l’encontre de la paix. Il promeut une image raciste et violente de Dieu – un Dieu de nettoyage ethnique. Cette idéologie sacrifie les chrétiens palestiniens, nous chassant de la terre où le christianisme a vu le jour. C’est aussi une honte pour l’Évangile de Jésus, déformant son message. Une véritable foi chrétienne devrait se concentrer sur la justice, la coexistence et la réconciliation, et non sur le soutien à l’apartheid ou au nettoyage ethnique.
Vous êtes le directeur du programme de conférences Christ at the Checkpoint (« Christ au poste de contrôle »), né en 2010, qui rassemble des chrétiens du monde entier pour discuter des questions de foi, de justice et de paix dans des situations d’oppression. Quel rôle peuvent jouer les chrétiens actuellement dans le conflit israélo-palestinien ?
Jésus dit dans le Sermon sur la montagne : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, de vérité. » Il dit aussi : « Heureux les artisans de paix. » J’aurais aimé que les chrétiens, au fil des années, se mobilisent pour réunir Palestiniens et Israéliens, mais surtout pour mettre fin à l’injustice et à ce qu’il se passe ici. Je pense que les chrétiens sont appelés à se ranger du côté des opprimés, à être du côté de la vérité et de la justice, et à tenir ceux qui commettent des crimes de guerre responsables. C’est le rôle que les personnes de foi, en général, doivent jouer, que ce soit en Palestine ou ailleurs. Aujourd’hui, j’aimerais que les personnes de foi, et notamment les dirigeants chrétiens, dénoncent le crime d’apartheid que commettent les autorités israéliennes, qu’ils disent la vérité au pouvoir. Si les leaders religieux ne sont pas prêts à défendre l’État de droit dans notre monde, à demander que les auteurs de crimes de guerre soient tenus responsables, alors je pense que nous perdons notre crédibilité en tant que leaders religieux.
Dans de nombreuses universités occidentales, des manifestations propalestiniennes ont eu lieu. Quel regard portez-vous sur ces mouvements ?
Ces manifestations m’apportent beaucoup d’espoir car je crois sincèrement que le changement viendra de ces mouvements émergeant de la base. J’ai voyagé aux États-Unis et rencontré certains de ces étudiants. Ils étaient issus de milieux très divers. Il y avait des juifs, des musulmans, des chrétiens, des athées et même des bouddhistes. En revanche, j’ai été profondément attristé par la violence avec laquelle ces manifestations ont été accueillies. Cela illustre encore une fois l’hypocrisie du monde occidental, qui se vante de défendre la liberté d’expression et d’opinion, mais seulement tant que cela ne concerne pas Israël et la Palestine. Honnêtement, j’espère que ces manifestations continueront. Les décideurs politiques doivent écouter le pouls de la rue, prêter attention à leurs citoyens. Aux États-Unis, par exemple, une écrasante majorité de la population soutient un cessez-le-feu, mais le gouvernement persiste à agir à l’encontre de cette volonté.
« Notre plus grand défi en tant que chrétiens n’est pas de vaincre nos ennemis mais de nous en faire des amis », écrivez-vous dans votre ouvrage L’Autre Côté du mur (Amis de Sabeel France, 2020). « Même si, aujourd’hui, je suis engagé dans l’urgence d’en finir avec l’occupation israélienne, je dois me rappeler que l’objectif en soi n’est pas la fin de l’occupation, mais bien davantage la réconciliation. » Pensez-vous que la réconciliation soit toujours possible ?
En tant qu’homme de foi, je me dois d’y croire. J’ai foi en Dieu, et je crois fermement qu’il nous faut, en définitive, trouver des moyens de vivre ensemble. Actuellement, il y a deux peuples sur cette terre, et les possibilités semblent assez simples : soit l’un élimine l’autre – ce que je ne veux absolument pas, car je suis contre la violence et contre cette idée –, soit nous trouvons des moyens de partager la terre. Malheureusement, ce qui se passe aujourd’hui, c’est précisément cela : un côté élimine, contrôle et déplace l’autre. La deuxième option, celle que je défends, consiste à partager cette terre. Cela dit, je ne suis pas naïf. Je reconnais que le chemin à suivre est très difficile. Permettez-moi d’ajouter une dernière chose : le chemin vers ce rêve, vers cet espoir, ne peut passer que par la justice. Sans justice, il est impossible d’arriver à une véritable réconciliation. Si nous ne démantelons pas l’apartheid, nous n’atteindrons jamais la réconciliation. Ce que l’histoire du Moyen-Orient et les événements récents nous apprennent, c’est que les empires finissent toujours par tomber, que les dictateurs finissent par tomber, et que les peuples trouvent des moyens de vivre ensemble. En tant qu’homme de foi, je ne peux pas perdre cet espoir.
Quelles sont selon vous les solutions pour sortir du conflit ?
Il m’est très difficile, en toute honnêteté, de parler d’une quelconque solution en ce moment, car nous traversons une période de génocide. Tout ce que je souhaite, c’est que cette guerre prenne fin. En tant que Palestiniens, notre seul espoir pour l’instant est de survivre à ce génocide brutal. Ce n’est qu’après la fin de cette guerre et après que ceux qui ont commis des crimes de guerre seront tenus pour responsables, que nous pourrons commencer à penser à un futur où nous diviserions la terre en deux États ou la partagerions sous la forme d’un seul État.
Le 21 novembre, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, son ex-ministre de la Défense, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La mise à l’écart du Premier ministre israélien ouvrirait-elle une solution au conflit ?
Oui, je le pense. Benyamin Nétanyahou agit selon le principe que « la force fait le droit ». Il ne se soucie pas des vies palestiniennes. Il nous a qualifiés d’Amalécites. Il a utilisé un principe biblique, considérant qu’Israël est le peuple de Dieu affrontant les Amalécites, et qu’en tant que tels, nous devrions tous être exterminés. Il a été inculpé par la Cour pénale internationale. Il devrait se trouver à La Haye. C’est un scandale pour moi que des dirigeants mondiaux continuent d’être en bons termes avec le régime israélien actuel. En Syrie, par exemple, tout le monde a appelé à juger Bachar al-Assad pour crimes de guerre. Personne n’applique le même traitement à Benyamin Nétanyahou. Même les politiciens français trouvent encore des moyens de le défendre. Tant que le Premier ministre israélien bénéficiera de cette protection de la part de la communauté internationale, il n’y aura, selon moi, aucune chance de parvenir à la paix. Benyamin Nétanyahou est un problème, un obstacle, un criminel de guerre.
Votre prédication de Noël 2023 avait beaucoup marqué les esprits. Quels messages avez-vous envie de faire passer lors de cette période de l’Avent ?
Malheureusement, l’an dernier, ma prédication n’a pas eu de réel effet, car la guerre continue toujours. Honnêtement, la position de nombreuses Églises n’a pas changé, alors que j’avais interpellé les responsables religieux pour qu’ils protègent l’humanité et nos enfants. Mon message pour ce temps de l’Avent est celui du deuil, de la souffrance. Nous avons le sentiment que de nombreux décideurs dans le monde traitent les Palestiniens comme quantité négligeable. Ils ont décidé qu’ils n’arrêteraient pas Benyamin Nétanyahou et continueront à fournir à Israël les armes dont il a besoin, jusqu’à ce que tout soit complètement détruit. Peu importe combien d’entre nous seront tués. Malgré tout, je garderai toujours ma foi. La foi est la seule chose que personne ne peut nous enlever en tant que Palestiniens. Noël nous offre une lueur d’espoir. Un enfant est né pour donner au monde l’espoir et le salut. Donc, nous prierons. Nous prierons Dieu pour qu’il nous remplisse de cet espoir, pour nous réconforter. Et nous continuerons notre appel à être des artisans de paix dans cette région du monde.
Propos recueillis par Alice Papin