Comment expliquer la panique causée par l’épidémie ?
"D’après les chiffres – faible taux de morbidité pour le moment, taux de létalité modéré – et les médecins, l’épidémie de coronavirus est préoccupante mais ne devrait pas non plus susciter de psychose. Pourtant, des mouvements de panique ont été observés, avec notamment une ruée sur les masques médicaux en Corée et un peu partout dans le monde.
Pour Freddy Vinet, « ce qui inquiète les gens, c’est l’inconnu. Les gens connaissent la grippe, mais pas le coronavirus, ses symptômes, la durée de la maladie, le risque de mourir. Le mot lui-même, qui contient le mot virus, inquiète. Paradoxalement, la grippe espagnole de 1918, assimilée à une grippe – donc une maladie considérée comme bénigne – n’a pas suscité de panique générale. Surtout que les gens avaient d’autres problèmes à gérer, notamment la guerre. »
La plupart des épidémies charrient leur lot de peurs irrationnelles, observe pour sa part Norbert Gualde, professeur d’immunologie à l’Université Bordeaux II et auteur de L’épidémie et la démorésilience. La résistance des populations aux épidémies ([L’Harmattan, 2011) : « Pour les Aztèques victimes de la variole, la peur était exacerbée par l’ignorance de l’origine du mal. Au Moyen-Âge, on attribuait volontiers à l’épidémie une origine divine, elle était le mal envoyé par un Dieu vengeur pour punir les hommes de leur inconduite. Beaucoup voient encore aujourd’hui dans le sida une origine divine ou, version plus "guerre des mondes" une origine extra-terrestre. »
Le début de l’épisode de coronavirus a aussi entraîné un déferlement de xénophobie et de racisme anti-chinois un peu partout dans le monde avec son lot d’agressions ou de mise en quarantaine. Là encore, c’est un classique de l’histoire des épidémies. « Lors des épidémies de peste, les docteurs, la foule, l’Église proposèrent des explications et à défaut désignèrent des coupables. Dans la majorité des cas, le bouc émissaire était autre, hétérodoxe, opposé ; il était lépreux, juif, gitan, vagabond, prostitué, bossu ou suspect de sorcellerie. Dans le texte de Guillaume de Machaut [compositeur et écrivain français du XIVe siècle qui survécut à la grande peste de 1347-1352, laquelle tua 25 millions de personnes soit 30 à 50 % de la population européenne], on accuse les Juifs d’avoir empoisonné les rivières. [Louis-Ferdinand] Céline — dans sa biographie [du médecin obstétricien hongrois Ignace Philippe] Semmelweis [1818-1865] qui fut sa thèse de médecine — raconte comment les médecins autrichiens rendaient les étudiants étrangers responsables des fièvres puerpérales qu’ils transmettaient aux parturientes avec leurs mains souillées. »
Dans son livre La peur en Occident [1], l’historien Jean Delumeau montre que les gouvernants et les puissants cherchent à cristalliser la peur de la mort et les angoisses métaphysiques des populations sur des objets, ce qui conduit à la désignation de boucs émissaires », confirme Anne-Marie Moulin. Ces réactions de rejet vont jusqu’à s’exercer contre les médecins eux-mêmes : « Au XIXe siècle, lors de l’épidémie de choléra, on les a soupçonnés de s’enrichir sur le dos des malades. Des rumeurs circulaient selon lesquelles ils empoisonnaient les puits. Cette hostilité s’observe aujourd’hui encore. [...]"
Pour Anne-Marie Moulin, ces réactions excessives de la population sont alimentées par les médias. « Les bulletins d’information sont diffusés dans tous les médias, en temps réel ; tout le monde disserte sur le sort du malade de Creil ; des gens qui ne savaient pas ce qu’est un virus connaissent le coronavirus ; les députés et le Premier ministre réagissent et le coronavirus devient la préoccupation principale, déplore-t-elle. Pendant ce temps, les autres sujets importants régressent, à cause du primat de l’actualité sur les questions de long terme.» .../...
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Comment expliquer la panique causée par l’épidémie ?
"D’après les chiffres – faible taux de morbidité pour le moment, taux de létalité modéré – et les médecins, l’épidémie de coronavirus est préoccupante mais ne devrait pas non plus susciter de psychose. Pourtant, des mouvements de panique ont été observés, avec notamment une ruée sur les masques médicaux en Corée et un peu partout dans le monde.
Pour Freddy Vinet, « ce qui inquiète les gens, c’est l’inconnu. Les gens connaissent la grippe, mais pas le coronavirus, ses symptômes, la durée de la maladie, le risque de mourir. Le mot lui-même, qui contient le mot virus, inquiète. Paradoxalement, la grippe espagnole de 1918, assimilée à une grippe – donc une maladie considérée comme bénigne – n’a pas suscité de panique générale. Surtout que les gens avaient d’autres problèmes à gérer, notamment la guerre. »
La plupart des épidémies charrient leur lot de peurs irrationnelles, observe pour sa part Norbert Gualde, professeur d’immunologie à l’Université Bordeaux II et auteur de L’épidémie et la démorésilience. La résistance des populations aux épidémies ([L’Harmattan, 2011) : « Pour les Aztèques victimes de la variole, la peur était exacerbée par l’ignorance de l’origine du mal. Au Moyen-Âge, on attribuait volontiers à l’épidémie une origine divine, elle était le mal envoyé par un Dieu vengeur pour punir les hommes de leur inconduite. Beaucoup voient encore aujourd’hui dans le sida une origine divine ou, version plus "guerre des mondes" une origine extra-terrestre. »
Le début de l’épisode de coronavirus a aussi entraîné un déferlement de xénophobie et de racisme anti-chinois un peu partout dans le monde avec son lot d’agressions ou de mise en quarantaine. Là encore, c’est un classique de l’histoire des épidémies. « Lors des épidémies de peste, les docteurs, la foule, l’Église proposèrent des explications et à défaut désignèrent des coupables. Dans la majorité des cas, le bouc émissaire était autre, hétérodoxe, opposé ; il était lépreux, juif, gitan, vagabond, prostitué, bossu ou suspect de sorcellerie. Dans le texte de Guillaume de Machaut [compositeur et écrivain français du XIVe siècle qui survécut à la grande peste de 1347-1352, laquelle tua 25 millions de personnes soit 30 à 50 % de la population européenne], on accuse les Juifs d’avoir empoisonné les rivières. [Louis-Ferdinand] Céline — dans sa biographie [du médecin obstétricien hongrois Ignace Philippe] Semmelweis [1818-1865] qui fut sa thèse de médecine — raconte comment les médecins autrichiens rendaient les étudiants étrangers responsables des fièvres puerpérales qu’ils transmettaient aux parturientes avec leurs mains souillées. »
Dans son livre La peur en Occident [1], l’historien Jean Delumeau montre que les gouvernants et les puissants cherchent à cristalliser la peur de la mort et les angoisses métaphysiques des populations sur des objets, ce qui conduit à la désignation de boucs émissaires », confirme Anne-Marie Moulin. Ces réactions de rejet vont jusqu’à s’exercer contre les médecins eux-mêmes : « Au XIXe siècle, lors de l’épidémie de choléra, on les a soupçonnés de s’enrichir sur le dos des malades. Des rumeurs circulaient selon lesquelles ils empoisonnaient les puits. Cette hostilité s’observe aujourd’hui encore. [...]"
Pour Anne-Marie Moulin, ces réactions excessives de la population sont alimentées par les médias. « Les bulletins d’information sont diffusés dans tous les médias, en temps réel ; tout le monde disserte sur le sort du malade de Creil ; des gens qui ne savaient pas ce qu’est un virus connaissent le coronavirus ; les députés et le Premier ministre réagissent et le coronavirus devient la préoccupation principale, déplore-t-elle. Pendant ce temps, les autres sujets importants régressent, à cause du primat de l’actualité sur les questions de long terme.»
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https://reporterre.net/Coronavirus-pas-de-panique
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