"Quand Agnès Buzyn annonce aux personnels hospitaliers cette formidable innovation dont elle leur fait la grâce : des postes de beds managers, à quoi avons-nous affaire ? Plus exactement à quel type d’humanité ? Car nous sentons bien que la question doit être posée en ces termes. Il faut un certain type pour, après avoir procédé au massacre managérial de l’hôpital, envisager de l’en sortir par une couche supplémentaire de management — le management des beds. Mais bien sûr, avant tout, pour avoir imaginé ramener toute l’épaisseur humaine qui entoure la maladie et le soin à ce genre de coordonnées. Comme tout le reste dans la société.
Mais voilà, de la même manière qu’elle pourrait dire qu’elle n’est pas à vendre, la société aujourd’hui dit qu’elle n’est pas à manager. Et que le retrait de l’âge-pivot qui a si vite donné satisfaction à tous les collaborateurs ne fera pas tout à fait le compte." .../...
Et de nouveau : qui sont ces gens ? Qu’est-ce que c’est que cette humanité-là ?
"À l’évidence, elle est d’une autre sorte. N’importe qui à leur place entendrait, et se retirerait aussitôt, définitivement, le rouge au front. Eux, non. Ils restent, pas la moindre entame. On imagine sans peine alors au sommet — Macron, Philippe : totalement emmurés. Logiquement, comment leur sorte pourrait-elle comprendre quoi que ce soit à la vie de l’autre — puisqu’elles n’ont tendanciellement plus grand chose en commun.
Par apprentissage, nous découvrons donc progressivement toutes les conditions de possibilité cachées de la démocratie, sans lesquelles il n’y a que « la-démocratie ». Le macronisme nous aura au moins fait apercevoir qu’il y faut un respect élémentaire du sens commun des mots — détruit avec l’effondrement délibéré de la langue : la langue du management. Nous savons maintenant qu’il y faut également une proximité des sortes d’humanité, et notamment un partage minimal de la décence." .../...
"Car l’époque néolibérale est au gouvernement sadique. Si ça fait mal, c’est que c’est bon. Les forcenés ont même fini par s’en faire une morale : le « courage des réformes ». Une morale et une concurrence : Fillon, du haut de ses « deux millions et demi de personnes dans la rue » en 2010 traite Macron de petit joueur avec ses quelques centaines de milliers de « gilets jaunes ». Dans ce monde totalement renversé, violenter le plus grand nombre est devenu un indice de valeur personnelle. Pendant ce temps, ils ont de « la-démocratie » plein la bouche. On ne sait pas si le plus étonnant est qu’ils y croient ou qu’ils soient à ce point étonnés que les autres n’y croient plus. Mais qui pourra être vraiment surpris qu’après avoir jeté si longtemps des paroles de détresse, des appels à être entendus, puis des blouses, des robes et des cartables, il vienne aux violentés des envies de jeter d’autres choses ?" .../...
"Le plus étonnant, cependant, est qu’il reste dans l’oligarchie des gens capables de dire des choses sensées. Sensées, mais curieuses. Ainsi Raymond Soubie, cet artisan de l’ombre de toutes les déréglementations du marché du travail, qui avait laissé coi le plateau entier de C’dans l’air (où il a son rond de serviette) en expliquant, lors de la démolition Macron du code du travail, qu’en réalité on n’avait jamais vraiment vu les dérégulations du droit du travail créer le moindre emploi… En somme un art de tout dire. Raymond Soubie, donc : « Les manifestations lorsqu’elles ne dégénèrent pas n’ont pas tellement d’influence sur les gouvernements». Soit : un constat d’évidence. Un aveu implicite. Et un conseil à méditer."
"Face à toutes les contestations, le verdict de la présidentielle de 2017 est de peu de poids. Le problème, il est vrai, dépasse Emmanuel Macron. C’est celui de la Ve République. Le suffrage universel ne peut pas être une arnaque suivie d’une sorte de bras d’honneur."
< De temps en temps, l’homme perd ses nerfs. Le voilà l’autre jour qui s’empourpre devant des journalistes du Figaro et de Radio J, exhortant ceux qui dénoncent la violence du pouvoir à « essayer la dictature ». Avec qui croise-t-il le fer ? Personne. Mélenchon a dénoncé un « comportement monarchique ». Ségolène Royal a parlé de « dérive autoritaire ». Et Olivier Besancenot lui a conseillé, très ironiquement, de « tester la démocratie ». Voilà tout. On a connu polémique plus sévère. Quant à la violence du pouvoir, elle est peu contestable. Physique d’abord, comme en témoignent les nombreuses victimes de la répression. Sociale et politique ensuite, en raison d’un acharnement à imposer, envers et contre tous, une réforme jugée confuse et injuste. [...] > .../...
< « Le temps », c’est désormais le maître mot de la bataille politique qui s’engage. Il est l’allié naturel de la démocratie. Il n’est visiblement pas l’ami du gouvernement. Plus c’est confus, et plus celui-ci se montre empressé. Il accorde généreusement quatre jours aux députés pour examiner un texte qui vient tout juste de leur être communiqué. Cela, alors que l’on découvre, presque fortuitement, de nouvelles contre-vérités. Ainsi, la part des retraites dans le PIB devait être constante. L’étude d’impact révèle qu’il n’en sera rien. La majoration des pensions à chaque naissance devait être favorable aux femmes, elle risque le plus souvent de profiter aux hommes. Et l’ombre du patronat continue de planer sur le scandale de la pénibilité. Cette pénibilité, refusée aux métiers les plus rudes, et insidieusement remplacée par l’invalidité, une fois le mal constaté. Quant à l’âge pivot, comme l’horizon, il recule à mesure que l’on avance. On devine aussi que la « règle d’or budgétaire » va sérieusement fragiliser les promesses d’augmentations faites aux enseignants. Et tout à l’avenant… Pas étonnant dès lors que la précipitation du gouvernement renforce le soupçon. Quelles vérités sont encore sous le boisseau ? .../...
2 commentaires:
Contre « la-démocratie »
"Quand Agnès Buzyn annonce aux personnels hospitaliers cette formidable innovation dont elle leur fait la grâce : des postes de beds managers, à quoi avons-nous affaire ? Plus exactement à quel type d’humanité ? Car nous sentons bien que la question doit être posée en ces termes. Il faut un certain type pour, après avoir procédé au massacre managérial de l’hôpital, envisager de l’en sortir par une couche supplémentaire de management — le management des beds. Mais bien sûr, avant tout, pour avoir imaginé ramener toute l’épaisseur humaine qui entoure la maladie et le soin à ce genre de coordonnées. Comme tout le reste dans la société.
Mais voilà, de la même manière qu’elle pourrait dire qu’elle n’est pas à vendre, la société aujourd’hui dit qu’elle n’est pas à manager. Et que le retrait de l’âge-pivot qui a si vite donné satisfaction à tous les collaborateurs ne fera pas tout à fait le compte."
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Et de nouveau : qui sont ces gens ? Qu’est-ce que c’est que cette humanité-là ?
"À l’évidence, elle est d’une autre sorte. N’importe qui à leur place entendrait, et se retirerait aussitôt, définitivement, le rouge au front. Eux, non. Ils restent, pas la moindre entame. On imagine sans peine alors au sommet — Macron, Philippe : totalement emmurés. Logiquement, comment leur sorte pourrait-elle comprendre quoi que ce soit à la vie de l’autre — puisqu’elles n’ont tendanciellement plus grand chose en commun.
Par apprentissage, nous découvrons donc progressivement toutes les conditions de possibilité cachées de la démocratie, sans lesquelles il n’y a que « la-démocratie ». Le macronisme nous aura au moins fait apercevoir qu’il y faut un respect élémentaire du sens commun des mots — détruit avec l’effondrement délibéré de la langue : la langue du management. Nous savons maintenant qu’il y faut également une proximité des sortes d’humanité, et notamment un partage minimal de la décence."
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"Car l’époque néolibérale est au gouvernement sadique. Si ça fait mal, c’est que c’est bon. Les forcenés ont même fini par s’en faire une morale : le « courage des réformes ». Une morale et une concurrence : Fillon, du haut de ses « deux millions et demi de personnes dans la rue » en 2010 traite Macron de petit joueur avec ses quelques centaines de milliers de « gilets jaunes ». Dans ce monde totalement renversé, violenter le plus grand nombre est devenu un indice de valeur personnelle. Pendant ce temps, ils ont de « la-démocratie » plein la bouche. On ne sait pas si le plus étonnant est qu’ils y croient ou qu’ils soient à ce point étonnés que les autres n’y croient plus. Mais qui pourra être vraiment surpris qu’après avoir jeté si longtemps des paroles de détresse, des appels à être entendus, puis des blouses, des robes et des cartables, il vienne aux violentés des envies de jeter d’autres choses ?"
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"Le plus étonnant, cependant, est qu’il reste dans l’oligarchie des gens capables de dire des choses sensées. Sensées, mais curieuses. Ainsi Raymond Soubie, cet artisan de l’ombre de toutes les déréglementations du marché du travail, qui avait laissé coi le plateau entier de C’dans l’air (où il a son rond de serviette) en expliquant, lors de la démolition Macron du code du travail, qu’en réalité on n’avait jamais vraiment vu les dérégulations du droit du travail créer le moindre emploi… En somme un art de tout dire. Raymond Soubie, donc : « Les manifestations lorsqu’elles ne dégénèrent pas n’ont pas tellement d’influence sur les gouvernements». Soit : un constat d’évidence. Un aveu implicite. Et un conseil à méditer."
Frédéric Lordon
https://blog.mondediplo.net/contre-la-democratie
Démocratie de faible intensité
"Face à toutes les contestations, le verdict de la présidentielle de 2017 est de peu de poids. Le problème, il est vrai, dépasse Emmanuel Macron. C’est celui de la Ve République. Le suffrage universel ne peut pas être une arnaque suivie d’une sorte de bras d’honneur."
< De temps en temps, l’homme perd ses nerfs. Le voilà l’autre jour qui s’empourpre devant des journalistes du Figaro et de Radio J, exhortant ceux qui dénoncent la violence du pouvoir à « essayer la dictature ». Avec qui croise-t-il le fer ? Personne. Mélenchon a dénoncé un « comportement monarchique ». Ségolène Royal a parlé de « dérive autoritaire ». Et Olivier Besancenot lui a conseillé, très ironiquement, de « tester la démocratie ». Voilà tout. On a connu polémique plus sévère. Quant à la violence du pouvoir, elle est peu contestable. Physique d’abord, comme en témoignent les nombreuses victimes de la répression. Sociale et politique ensuite, en raison d’un acharnement à imposer, envers et contre tous, une réforme jugée confuse et injuste. [...] >
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< « Le temps », c’est désormais le maître mot de la bataille politique qui s’engage. Il est l’allié naturel de la démocratie. Il n’est visiblement pas l’ami du gouvernement. Plus c’est confus, et plus celui-ci se montre empressé. Il accorde généreusement quatre jours aux députés pour examiner un texte qui vient tout juste de leur être communiqué. Cela, alors que l’on découvre, presque fortuitement, de nouvelles contre-vérités. Ainsi, la part des retraites dans le PIB devait être constante. L’étude d’impact révèle qu’il n’en sera rien. La majoration des pensions à chaque naissance devait être favorable aux femmes, elle risque le plus souvent de profiter aux hommes. Et l’ombre du patronat continue de planer sur le scandale de la pénibilité. Cette pénibilité, refusée aux métiers les plus rudes, et insidieusement remplacée par l’invalidité, une fois le mal constaté. Quant à l’âge pivot, comme l’horizon, il recule à mesure que l’on avance. On devine aussi que la « règle d’or budgétaire » va sérieusement fragiliser les promesses d’augmentations faites aux enseignants. Et tout à l’avenant… Pas étonnant dès lors que la précipitation du gouvernement renforce le soupçon. Quelles vérités sont encore sous le boisseau ?
.../...
Denis Siefert
https://www.politis.fr/articles/2020/01/democratie-de-faible-intensite-41311/
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