Le Brexit, du Shakespeare aux allures de Monty Python sur un générique de Benny Hill...
...qui nous emmène droit vers Alice au Pays des Merveilles. Tout ceci fournirait de la matière on ne peut plus adaptée à une comédie des plus improbables.
Brexit or not Brexit, that is the question... Shakespeare se serait régalé. Déjà la distribution des principaux protagonistes se prête à une dramaturgie des plus palpitantes.
Vous avez à la tête des Conservateurs une Première Ministre qui avait fait campagne pour "Remain". Harcelée sans relâche par ses Brexitteurs les plus machiavéliques, la voilà qui se transforme devant nos yeux en héroïne la plus enflammée du Brexit le plus extrême. En face, un leader de l'Opposition travailliste, Jeremy Corbyn qui a passé sa vie à pester, et surtout voter contre la moindre proposition de loi dès lors que le mot "européen" figurait dedans. Le voilà contraint néanmoins à affecter un soutien au moins de façade pour "Remain", dans le souci de ne pas isoler les deux tiers de son électorat ainsi qu'une proportion encore plus importante de ses propres députés.
Puis, le clown! Nul doute pour savoir qui décroche le rôle, tant l'actuel Ministre des Affaires Étrangères se précipite dans la moindre audition afin de camper ce personnage-clé de toute tragédie shakespearienne. Boris dirigeait la campagne du leave, mais nullement pour gagner, juste dans l'espoir de déstabiliser puis déloger feu le Roi Cameron. On imagine avec délectation les soliloques, déclamés dans l'ombre de son immense solitude torturée, par un si turbulent trublion.
Ce qui s'est passé cette semaine à la Chambre des communes relève du pur Monty Python.
Ne nous limitons pas à Shakespeare. Ce qui s'est passé cette semaine à la Chambre des communes relève du pur Monty Python. Deux ans après le référendum, alors que l'UE attend de pied ferme la moindre proposition quant aux futures relations commerciales souhaitées par Londres, les députés de sa Majesté en sont toujours à débattre de points pour le moins hermétiques relevant de la simple procédure parlementaire. Mercredi par exemple, un énième vote "lame de rasoir" pour déterminer qui aurait le mot final en cas d'un "no-deal" avec Bruxelles, -le gouvernement ou les députés?
Theresa May sait pertinemment que les Communes sont majoritairement pour un Brexit "soft". Elle se bat bec et ongle pour leur enlever tout pouvoir. Après plusieurs parties de ping-pong avec les Lords, l'un de ses propres députés, brandissant le poignard façon "Et toi, Brutus?" de Jules César, avait proposé un amendement arrachant de force au gouvernement ce pouvoir existentiel. Après moult négociations à huis clos, celui-ci se mue en John Cleese et finit par voter, eh oui –contre son propre amendement!, extirpant in extremis et façon Deus ex Machina sa patronne malmenée d'une mort certaine à mi-parcours seulement de l'intrigue.
Des situations plus rocambolesques encore sont à mixer sur fond de générique de cette autre égérie de l'humour britannique, Benny Hill. Déjà le Ministre du Brexit, l'ineffable David Davis, en est le portrait craché. On imagine sinon le sketch hilarant inspiré par les agissements on ne peut plus burlesques des éleveurs de fruits de mer du port de Grimsby. Cette ville du Nord de l'Angleterre a voté massivement pour sortir de l'Union européenne. Ceci avant de se rendre compte, quelques mois après, que leur gagne-pain était pour le moins menacé si jamais la Grande-Bretagne quittait le marché unique.
Voilà une délégation de la ville qui se précipite illico presto vers Downing Street pour réclamer, if you please, qu'une exception soit faite dans toute négociation future -non pas pour les fruits de mer de manière générale, mais uniquement pour ceux de Grimsby!, les éleveurs tout d'un coup conscients du fait que les marchés de l'avenir tant miroités par les Brexitteurs, genre l'Inde et l'Australie, ne constituent peut-être pas la destination idéale pour leurs huîtres fraîches.
Encore des gags à gogo... Cette semaine le gouvernement, prenant conscience que les avions britanniques risquent tout simplement de ne pas pouvoir décoller en avril prochain en l'absence d'un accord, se fend d'une annonce pour recruter un responsable, ce "Brexit aviation chief" chargé de gérer le cataclysme chaotique in the skies. Annonce dans laquelle figure la phrase prononcée avec les mimiques dont seul Mister Bean a le secret -"no aviation experience necessary".
Toutes cette situations comiques ne manquent pas de personnages haut en couleur, avec des traits alternant entre le grotesque et le sombre.
Quant à l'Irlande du Nord, nous sommes carrément dans Alice au Pays des Merveilles. Tout tourne autour de la frontière entre cette partie de l'île, contrainte de brexitter malgré elle avec le reste du Royaume-Uni, et la République d'Irlande, plus que jamais partante pour rester dans l'UE. Theresa May ayant décidé de son propre chef que le Brexit signifie le fait de quitter l'Union Douanière (chose niée d'ailleurs par d'éminents Brexitteurs comme Johnson avant le référendum) –il va falloir contrôler tout ce qui y transite.
Comment gérer cette situation sans revenir vers les affres de ce qui fut, à peine il y a deux générations, l'une des frontières les plus armées du continent? Pour le moment les idées proposées par les Brexitteurs relèvent de ce que l'on appelle de façon charitable du "magical thinking", genre tout un escadron de drones sensés traquer le moindre camion suspect (solution nettement moins efficace la nuit déjà). Les pauvres Brexitteurs, poussés à bout, proposent que l'on "turn a blind eye" -que l'on fasse semblant de ne rien voir côté contrebande. Nous sommes carrément de l'autre côté du miroir pour des gens dont le mantra a toujours été "Reprenons le contrôle de nos frontières avec l'UE" et qui dans le même souffle affirment qu'ils ne veulent plus contrôler la seule frontière terrestre qui existe précisément... avec l'UE!
Toutes cette situations comiques ne manquent pas de personnages haut en couleur, avec des traits alternant entre le grotesque et le sombre. Prenez le très aristocrate et fervent Brexitteur Jacob Rees-Mogg, que l'on imagine avec un monocle tout droit sorti d'un roman de PG Wodehouse. C'est tout de même quelqu'un qui a donné à son sixième fils le nom latin de Sixtus Boniface. Il gère une société financière qui, on l'a appris également cette semaine, se délocalise vers Dublin afin d'éviter les méfaits du Brexit sur la City.
On accuse souvent les Britanniques d'hypocrisie. Lord Lawson, Ministre des Finances de Thatcher et ancien Président du Leave, en fournit un exemple des plus époustouflants. Après s'être tant battu pour que ses compatriotes ne bénéficient plus de la libre circulation des personnes dans l'UE, le voilà qui de façon dont on ne pourrait que saluer la pure effronterie, demande une carte de résidence permanente pour se réfugier des méfaits de son Brexit tant aimé... dans son manoir gascon!
Plus de cent mille emplois en jeu hier matin à la une du Times avec Airbus qui menace de ne plus investir en GB.
Tout ceci fournirait de la matière on ne peut plus adaptée à une comédie des plus improbables, si ce n'est que derrière les rideaux, c'est la Tragédie qui attend de faire son entrée fracassante. Plus de cent mille emplois en jeu hier matin à la une du Times avec Airbus qui menace de ne plus investir en GB. L'industrie automobile britannique décimée s'il y a la moindre entrave dans la circulation d'innombrables pièces dans ses chaînes de production des deux côtés de la Manche.
Puis nous avons plus de 5 millions de personnes, des Européens ayant fait leur vie au Royaume-Uni et vice-versa, toujours dans un état insoutenable d'incertitude quant à leur sort. Dans le genre réplique à couper le souffle, nous avons le nouveau Ministre de l'Intérieur britannique qui jeudi est allé jusqu'à sermonner le reste de l'UE qui ne "prend pas les mesures nécessaires pour régler le sort des Britanniques vivant sur le continent". Venant de la part d'un gouvernement qui a toujours refusé de rencontrer les représentants de plus d'un million de ces mêmes ressortissants, it takes the biscuit –(expression du cru pour "c'est fort de café").
Comédie? Tragédie? Plus on s'approche du dénouement, avec une sortie de la Grande-Bretagne de l'UE prévue dans seulement 9 mois, plus on se demande si l'on ne ferait pas mieux de confier l'intrigue à l'auteur britannique de loin le plus vendu dans le monde entier, Agatha Christie. Une fois le cadavre ensanglanté découvert, nous aurons tout le roman, hélas sans doute pendant de longues années, pour déterminer qui est le vrai responsable de ce crime des plus spectaculaires...
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