"Tous les weekends avec le sociologue Jean Viard, on s'arrête sur un événement qui se passe à l'autre bout du monde ou dans un petit village de France, qu'il implique des puissants ou Monsieur et Madame tout le monde. L'important, c'est qu'ils illustrent une question de société. Et nous partons aujourd'hui, Évron en Mayenne, où se tient jusqu'à demain le Festival de la viande." (...)
"Parmi les cuvées franches de pied inoubliables, il y a «la Mémé». A Montbrison-sur-Lez, dans la vallée du Rhône Sud, se trouve l’un des plus beaux domaines de vins naturels du monde : celui de Gramenon. Longtemps dirigée par Michèle Aubéry, la maison a été reprise en 2020 par son fils, Maxime-François Laurent. Parmi leurs cuvées (toutes exceptionnelles par leur toucher de bouche velouté, leur travail sur les tanins fondus, l’élégance absolue et l’équilibre des jus entre l’âpreté et la douceur) se trouve la Mémé. Ce grand vin, créé avec de très vieilles vignes de grenache (cent vingt ans) cultivées en biodynamie, est une merveille d’épices, à la bouche gorgée de fruits chauffés au soleil, framboises, cassis, cerises et mûres. «Ce sont des vignes qui poussent sur un terroir particulier, fait de sable, sinon le phylloxéra aurait progressé et aurait tué les vignes, explique Michèle Aubéry. Certains plants ont beaucoup été déformés par le mistral… C’est une parcelle qu’on travaille au cheval, parce que l’outil est plus étroit qu’un tracteur, donc ça ne casse pas. Les vieilles vignes, c’est comme des personnes âgées : elles perdent de la vitalité, elles ploient comme des marguerites. Donc on leur donne une canne, un tuteur tout proche, pour qu’elles retrouvent de la tonicité et une cohérence dans la souche. C’est une chance d’avoir cette Mémé qui nous fait un conservatoire de vieux plants. C’est ce qui amène de la complexité et de la diversité dans ce vin. C’est une vigne tellement bien acclimatée… Il n’y a pas grand-chose qui la bouscule.» (...)
"On les appelle les lambrusques. Ce sont les ancêtres de nos vignes cultivées. En voie de disparition, elles sont désormais protégées."
Par Florence Monferran* (...)
Protéger un vivier génétique
"Depuis 1995 vitis vinifera subsp. sylvestris figure sur la liste des espèces végétales protégées en France. Les ampélographes pointent l'érosion génétique subie par ses populations. Le peu d'individus restants, induisant une consanguinité, et la présence de nombreux parasites motivent cette protection. Attention, leur destruction est passible de 9 000 euros d'amende ! Elle survient parfois par inadvertance, lors de travaux de débroussaillage. L'Office national des forêts recense les peuplements afin de mettre en place des actions de préservation. L'Inra sauvegarde au domaine de Vassal (Hérault) environ 400 spécimens de lambrusques en provenance de nombreux pays. L'IFV (Institut français de la vigne et du vin) implante des individus découverts dans son conservatoire du Tarn. De même, une collection a vu le jour dans l'AOP saint-mont (Gers).
De leur côté, les vignes cultivées subissent dépérissement et appauvrissement génétique. Les chercheurs tentent de recueillir dans la vigne sauvage des caractères utiles pour améliorer ou renforcer nos cépages. Les lambrusques jouent donc un rôle de réservoir de gènes crucial pour le maintien de la biodiversité dans le vignoble mondial. Les échantillons implantés dans des conservatoires, les prélèvements d'échantillons d'ADN protégés dans des banques de gènes échafaudent ce vivier pour l'avenir.
Qu'est-ce qui poussa nos ancêtres à privilégier le raisin au détriment des autres fruits pour préparer des boissons alcoolisées ? Vin de myrte si réputé, vin de dattes et de figues, de grenade et de mûre, et même vin de plantes du jardin (raifort, asperge, sarriette et autres) ont été largement supplantés par le nectar de la vigne. Quelques-uns reviennent au goût du jour, comme un lointain écho à Pline l'Ancien. Plus encore, à l'instar de l'herbe chère à l'historien Alain Corbin, « porteuse d'origine [qui] semble garder la saveur des premiers temps du monde », la vigne sauvage nous relie à un état de nature au cœur de nos réflexions contemporaines."
*Historienne, chercheuse diplômée de l'université Jean-Jaurès à Toulouse, vigneronne aujourd'hui près de Montpellier, Florence Monferran s'attache depuis une dizaine d'années à mettre en lumière des patrimoines et des terroirs de grande qualité, des vins et des cépages du Languedoc. En 2020, elle a fait paraître l'ouvrage « Le Breuvage d'Héraclès » aux éditions Privat."
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"Tous les weekends avec le sociologue Jean Viard, on s'arrête sur un événement qui se passe à l'autre bout du monde ou dans un petit village de France, qu'il implique des puissants ou Monsieur et Madame tout le monde. L'important, c'est qu'ils illustrent une question de société. Et nous partons aujourd'hui, Évron en Mayenne, où se tient jusqu'à demain le Festival de la viande."
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https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/question-de-societe/on-n-a-plus-le-corps-de-force-qu-avaient-nos-parents-et-nos-ancetres-et-du-coup-on-mange-20-de-viande-de-moins-qu-il-y-a-30-ans-jean-viard_5322727.html
"Parmi les cuvées franches de pied inoubliables, il y a «la Mémé». A Montbrison-sur-Lez, dans la vallée du Rhône Sud, se trouve l’un des plus beaux domaines de vins naturels du monde : celui de Gramenon. Longtemps dirigée par Michèle Aubéry, la maison a été reprise en 2020 par son fils, Maxime-François Laurent. Parmi leurs cuvées (toutes exceptionnelles par leur toucher de bouche velouté, leur travail sur les tanins fondus, l’élégance absolue et l’équilibre des jus entre l’âpreté et la douceur) se trouve la Mémé. Ce grand vin, créé avec de très vieilles vignes de grenache (cent vingt ans) cultivées en biodynamie, est une merveille d’épices, à la bouche gorgée de fruits chauffés au soleil, framboises, cassis, cerises et mûres. «Ce sont des vignes qui poussent sur un terroir particulier, fait de sable, sinon le phylloxéra aurait progressé et aurait tué les vignes, explique Michèle Aubéry. Certains plants ont beaucoup été déformés par le mistral… C’est une parcelle qu’on travaille au cheval, parce que l’outil est plus étroit qu’un tracteur, donc ça ne casse pas. Les vieilles vignes, c’est comme des personnes âgées : elles perdent de la vitalité, elles ploient comme des marguerites. Donc on leur donne une canne, un tuteur tout proche, pour qu’elles retrouvent de la tonicité et une cohérence dans la souche. C’est une chance d’avoir cette Mémé qui nous fait un conservatoire de vieux plants. C’est ce qui amène de la complexité et de la diversité dans ce vin. C’est une vigne tellement bien acclimatée… Il n’y a pas grand-chose qui la bouscule.»
(...)
https://www.liberation.fr/lifestyle/gastronomie/le-franc-de-pied-la-vigne-qui-defait-mouche-20220905_D26X5MKSNZEIZD7EFE5VLPOSEY/
Le retour précieux de la vigne sauvage
"On les appelle les lambrusques. Ce sont les ancêtres de nos vignes cultivées. En voie de disparition, elles sont désormais protégées."
Par Florence Monferran*
(...)
Protéger un vivier génétique
"Depuis 1995 vitis vinifera subsp. sylvestris figure sur la liste des espèces végétales protégées en France. Les ampélographes pointent l'érosion génétique subie par ses populations. Le peu d'individus restants, induisant une consanguinité, et la présence de nombreux parasites motivent cette protection. Attention, leur destruction est passible de 9 000 euros d'amende ! Elle survient parfois par inadvertance, lors de travaux de débroussaillage. L'Office national des forêts recense les peuplements afin de mettre en place des actions de préservation. L'Inra sauvegarde au domaine de Vassal (Hérault) environ 400 spécimens de lambrusques en provenance de nombreux pays. L'IFV (Institut français de la vigne et du vin) implante des individus découverts dans son conservatoire du Tarn. De même, une collection a vu le jour dans l'AOP saint-mont (Gers).
De leur côté, les vignes cultivées subissent dépérissement et appauvrissement génétique. Les chercheurs tentent de recueillir dans la vigne sauvage des caractères utiles pour améliorer ou renforcer nos cépages. Les lambrusques jouent donc un rôle de réservoir de gènes crucial pour le maintien de la biodiversité dans le vignoble mondial. Les échantillons implantés dans des conservatoires, les prélèvements d'échantillons d'ADN protégés dans des banques de gènes échafaudent ce vivier pour l'avenir.
Qu'est-ce qui poussa nos ancêtres à privilégier le raisin au détriment des autres fruits pour préparer des boissons alcoolisées ? Vin de myrte si réputé, vin de dattes et de figues, de grenade et de mûre, et même vin de plantes du jardin (raifort, asperge, sarriette et autres) ont été largement supplantés par le nectar de la vigne. Quelques-uns reviennent au goût du jour, comme un lointain écho à Pline l'Ancien. Plus encore, à l'instar de l'herbe chère à l'historien Alain Corbin, « porteuse d'origine [qui] semble garder la saveur des premiers temps du monde », la vigne sauvage nous relie à un état de nature au cœur de nos réflexions contemporaines."
*Historienne, chercheuse diplômée de l'université Jean-Jaurès à Toulouse, vigneronne aujourd'hui près de Montpellier, Florence Monferran s'attache depuis une dizaine d'années à mettre en lumière des patrimoines et des terroirs de grande qualité, des vins et des cépages du Languedoc. En 2020, elle a fait paraître l'ouvrage « Le Breuvage d'Héraclès » aux éditions Privat."
https://www.lepoint.fr/vin/le-retour-precieux-de-la-vigne-sauvage-11-09-2022-2489537_581.php#xtor=CS3-190
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