mercredi 8 août 2018

Nouvelles révélations sur l'affaire Kohler : le secrétaire général de Macron s'embourbe dans le conflit d'intérêts

Nouvelles révélations sur l'affaire Kohler : le secrétaire général de Macron s'embourbe dans le conflit d'intérêts

Nouvelles révélations sur l'affaire Kohler : le secrétaire général de Macron s'embourbe dans le conflit d'intérêts

D'après Mediapart, le haut fonctionnaire a sciemment caché ses liens avec l'armateur MSC lorsqu'il travaillait pour l'Etat… tout en veillant aux intérêts de l'entreprise de navigation, qu'il a ensuite rejoint comme directeur financier.

Une affaire en chasse une autre à l'Elysée. Après les nombreux rebondissements liés au cas d'Alexandre Benalla, c'est désormais le secrétaire général d'Emmanuel Macron, Alexis Kohler, qui est sérieusement inquiété à la suite de plusieurs enquêtes de Mediapart. Le site d'informations accuse le haut fonctionnaire d'être en situation de conflit d'intérêts : à partir de 2010, il a siégé, en tant que représentant de l'Etat, dans les conseils des chantiers navals de Saint-Nazaire et du port du Havre, alors qu'un des principaux clients de ces établissements, l'armateur Mediterranean Shipping Company (MSC) est fondé et dirigé par des membres de sa famille. Surtout, et alors que l'intéressé le nie, Mediapart révèle qu'au sein de ces conseils, bien que tenu de "se déporter" des dossiers liés à MSC, Alexis Kohler a pris la parole et même voté des contrats favorables à l'armateur italo-suisse.

Revenons-en aux prémices de l'affaire : les liens unissant l'énarque à MSC, la deuxième société de navigation au monde. Le cousin germain par alliance de la mère d'Alexis Kohler est le fondateur et actionnaire principal de la compagnie. Et lorsque le haut fonctionnaire a été tenté d'aller "pantoufler" dans le privé, il s'est invariablement tourné vers MSC, comme en 2016 lorsqu'il est devenu le directeur financier de la filiale croisières. Avant cela, entre 2010 et 2012, Kohler occupait un important poste de sous-directeur au sein de l'Agence des participations de l'Etat (APE). Il représentait la puissance publique dans des conseils comme ceux de Renault, d'Aéroports de Paris… Mais également de STX France - les chantiers navals de Saint-Nazare - et du port du Havre.

Le fait de siéger au sein de ces deux conseils liés à l'industrie navigatrice aurait dû conduire Alexis Kohler à se tenir strictement à l'écart des dossiers liés à MSC, entreprise avec laquelle il a des liens familiaux. Or, Mediapart s'est procuré les procès-verbaux des conseils de surveillance du port du Havre lors desquels Alexis Kohler était présent… et révèle que ce dernier n'a jamais informé les autres membres de ses liens avec MSC, pas plus qu'il ne s'est "déporté" des dossiers liés à l'armateur. Il a même voté "une fois au moins (...) une disposition, mettant en jeu de l'argent public, favorable à la MSC". Ces informations semblent indiquer qu'Alexis Kohler et l'Elysée auraient menti dans leur défense, puisqu'il a été affirmé que le haut fonctionnaire avait "toujours informé sa hiérarchie de ses liens familiaux, ainsi que ses collègues de travail qui avaient à connaître cette circonstance".

Plusieurs exemples accablants

Le site d'informations fournit plusieurs exemples de conseils lors desquels l'attitude d'Alexis Kohler est a minima suspecte. Tout d'abord au sein de STX France en 2010 : il accepte alors que l'Etat fournisse une garantie financière de plus de 1,5 milliard d'euros à un client des chantiers de Saint-Nazaire. Le client n'est pas spécifié… mais Kohler sait pertinemment que MSC est le seul client des chantiers ! Au port du Havre, les exemples sont nombreux. De 2008 à 2013, 443 millions d'euros d'investissements vont être votés, et bénéficier indirectement à MSC… dont 88,9 millions de subventions publiques. Ainsi le 4 juin 2010, Alexis Kohler vote un projet de chantier du port normand, évalué à 140 millions d'euros ; le 24 septembre, il vote une garantie de rachat par le port du Havre des biens et outillages détenus par TNMSC, une société possédée à 50% par MSC. La justification alors invoquée est "d'enraciner au Havre" les opérateurs privés. Sauf que l'Etat n'avait aucunement à jouer les banquiers pour le bon plaisir de TNMSC, "alors que les biens auraient dû [lui revenir] gratuitement et de plein droit", comme le pointe la Cour des comptes dans son rapport.

Silence radio sur ses liens avec MSC

Les PV de conseils de surveillance sont également éloquents sur un autre point : Alexis Kohler prend part aux discussions, donne son opinion, vote en tant que représentant de l'Etat… sans jamais informer ses interlocuteurs de son lien particulier avec MSC. Mediapart précise pourtant que d'autres membres de ces conseils, comme par exemple Edouard Philippe (maire du Havre à l'époque), se déportent ouvertement sur plusieurs sujets et ne participent pas aux débats. Le port du Havre avait en outre mis en place une procédure de déclaration d'intérêts, que Mediapart a voulu consulter pour savoir si Alexis Kohler s'était à l'époque montré plus transparent à l'écrit qu'à l'oral : les journalistes se sont vus opposer une fin de non-recevoir.

Ces éléments jettent d'autant plus le trouble qu'à deux reprises, Alexis Kohler a tenté de bifurquer dans le privé : en avril 2014, alors qu'il travaillait au cabinet de Pierre Moscovici, le ministre de l'Economie quitte son poste à Bercy. Kohler demande à rejoindre… MSC, mais reçoit un avis défavorable de la commission de déontologie de la fonction publique, qui souligne son rôle au conseil des chantiers de Saint-Nazaire. Alexis Kohler réitère se demande en août 2016 : cette fois-ci, l'avis est favorable, peut-être parce qu'un certain Emmanuel Macron s'est porté garant de l'intégrité de l'énarque… Il devient alors directeur financier à MSC, et représente même les intérêts de la firme lors d'une réunion à Bercy en mars 2017 portant sur le rachat de STX France, lors de laquelle il croise tous ses anciens collègues du ministère des Finances…

Lorsqu'il a été nommé secrétaire général de l'Elysée par Emmanuel Macron, Alexis Kohler a déclaré qu'il se déporterait pour tous les sujets liés à MSC, mais les révélations sur son passé ont de quoi jeter un certain trouble sur cette promesse. Elles ont en tout cas poussé le Parquet national financier à ouvrir une enquête, et l'association Anticor à porter plainte pour prise illégale d'intérêt", "trafic d'influence" et "corruption passive". Des perquisitions ont été menées dans ce cadre à Bercy, le 6 juin dernier. La prise illégale d'intérêt est un délit passible de cinq années de prison.

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

https://www.lexpress.fr/actualite/politique/anticor-depose-une-deuxieme-plainte-contre-alexis-kohler_2030068.html