jeudi 14 juin 2018

Promesses déçues : comment les étudiants boursiers ont été lésés par Parcoursup

Promesses déçues : comment les étudiants boursiers ont été lésés par Parcoursup

Promesses déçues : comment les étudiants boursiers ont été lésés par Parcoursup

Le gouvernement les présente comme l'une des grandes avancées sociales de Parcoursup : désormais, des quotas minimaux de boursiers sont fixés dans chaque filière publique sélective ou en tension. L'objectif avec cette mesure, arrivée dans la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) à la faveur d'un amendement du groupe socialiste à l'Assemblée, est de "favoriser l'accession du plus grand nombre à un diplôme d'enseignement supérieur". A la manière d'un "bonus", les taux décidés par les recteurs de chaque académie doivent assurer aux lycéens les moins favorisés de ne pas être éliminés dès le début de la sélection. Parcoursup formalise ici ce qui relevait de la "petite cuisine" interne avec Admission Post-Bac (APB). L'ancien système permettait parfois, à dossier égal, de privilégier les candidats boursiers dans certaines filières. Problème : plus organisés, les quotas version Parcoursup ne sont pas plus égalitaires.

Trouver l'ensemble des quotas de boursiers de chaque formation n'est pas chose aisée. Pour avoir une idée de la tendance générale, il faut relever les seuils de chacune des formations proposées sur le site de Parcoursup. Ce colossal travail de fourmi a été mené pour l'Île-de-France par les chercheurs Milan Bouchet-Valat, Marie Paule Couto et Léonard Moulin, et le constat est sans appel : les différences entre universités - et parfois même entre filières - sont criantes. Si, pour beaucoup d'entre elles, les taux de boursiers oscillent entre 10 et 20%, certaines doivent à peine en accepter 5%.

Moins de boursiers pour les universités parisiennes

Autre constat : les universités du centre de la capitale, comme Paris 2 Panthéon-Assas, ou Paris 3 Sorbonne Nouvelle, sont libres d'accepter moins de 6% de boursiers. A l'inverse, celles de banlieue, comme Paris Est-Créteil (11,2%) ou Paris 13 Nord (15,4%) doivent en accueillir au minimum 12%. "C'est un phénomène que l'on constate particulièrement à Paris, précise Léonard Moulin, chargé de recherche à l'institut national d'études démographiques. La capitale est l'un des seuls endroits en France où les universités sont extrêmement rapprochées géographiquement et où les écarts sont les plus flagrants".

Ces différences de taux s'accroissent encore davantage lorsque l'on se penche sur les filières de droit parisiennes, championnes toutes catégories des inégalités entre boursiers. Ainsi, l'université Paris 13 Villetaneuse-Bobigny accueillera l'année prochaine plus de 18% de boursiers, tandis que celle de Paris 1 Panthéon Sorbonne ne doit en recevoir… que 2%. Et l'écart devient de plus en plus aberrant lorsqu'on compare deux filières d'une même université, situées dans deux zones géographiques différentes. Si la filière de Droit-Economie-Gestion de Panthéon-Assas s'est vu attribuer un taux minimum de 2%, son antenne en banlieue, à Melun, doit, quant à elle, impérativement accepter plus de 10% de boursiers.

"Hypocrisie du message gouvernemental"

Devant ce gouffre, les enseignants du supérieur sont nombreux à pointer, à l'exemple d'Anne Bory, maîtresse de conférences en sociologie à la Faculté des Sciences économiques et sociales, "l'hypocrisie du message gouvernemental" : "Ce n'est pas en intégrant 2% de boursiers que l'on va favoriser les étudiants des classes populaires ! s'étrangle-t-elle. Si le gouvernement veut permettre la discrimination positive des boursiers, pourquoi il y en aurait-il moins à Assas qu'à Roubaix ? A Paris qu'à Melun ?"

Pourquoi une telle différence entre les universités ? Beaucoup d'enseignants ne s'avancent pas, pointant seulement "le manque de transparence" du processus d'affectation de Parcoursup. "Il n'y a pas réellement d'information sur la manière dont ces taux ont été fixés, confirme Leïla Frouillou, maîtresse de conférences en sociologie à l'université Paris-Nanterre. Aucune règle n'a été publiée, aucune consigne. On ne sait pas si ça résulte de choix des académies, des recteurs, on ne peut que faire des hypothèses..."

Autocensure des étudiants

Il existe tout de même quelques pistes d'explication. La première est inscrite dans le texte de la loi ORE qui indique que, dans les filières en tension, "l'autorité académique fixe un pourcentage minimal de bacheliers" boursiers, "en fonction du rapport entre le nombre" de candidats à la formation "et le nombre total de demandes". Les 2, 10 ou 20% ne sont donc pas tirés d'un chapeau et sont, du moins en partie, issus d'un calcul mathématique. En clair, cela signifie que pour trouver leurs taux, les recteurs doivent effectuer un simple produit en croix : le nombre de dossiers de boursiers s'y présentant divisé par le nombre total de candidatures, multiplié par cent. En théorie, le rectorat n'a donc eu qu'à automatiser ce processus pour fixer l'ensemble des quotas dans chaque filière. Contactée, l'académie de Paris nie l'existence de tout "processus mécanique" et affirme que plusieurs facteurs ont été pris en compte : le nombre de candidats, mais aussi la situation de la filière l'an passé ainsi que les souhaits des présidents d'université, certains souhaitant moins et d'autres plus de boursiers.

"Le lycéen va rationaliser son choix. Il va estimer que cette université est trop difficile à atteindre et refuser d'y aller"

Pour Léonard Moulin, l'hypothèse la plus probable est celle d'un calcul, qui découle du comportement des lycéens eux-mêmes : "Ces disparités que l'on observe sont au départ moins le fait des facs que des disparités dans les candidatures, dès le départ", estime-t-il. C'est ici que se trouverait la raison fondamentale des disparités entre les universités : "Dans l'idéal, on devrait évidemment avoir le même nombre de boursiers dans toutes les universités, mais souvent, ils se censurent", remarque-t-il. Par peur de s'aventurer dans des universités dites "prestigieuses", de devoir louer un studio à Paris, même aidé d'une bourse, les lycéens de banlieue renoncent à candidater. "Le lycéen va rationaliser son choix, développe Léonard Moulin. Il va estimer que cette université est trop difficile à atteindre et refuser d'y aller".

Résultat : seuls les meilleurs des meilleurs boursiers, qui ont vaincu l'autocensure, parviendront peut-être à avoir une place dans les universités parisiennes les plus prisées. Les autres resteront chez eux. "Avec Parcoursup, les étudiants sont en principe libres d'aller où ils veulent, remarque Pierre Chantelot, du syndicat SNESUP-FSU. Mais le gouvernement joue clairement sur l'autocensure des étudiants pour mieux gérer leurs flux : les étudiants de banlieue restent en banlieue et les plus aisés restent ou s'installent à Paris."

Le choix aux facs

Reste que les universités sont en réalité loin d'être démunies face à cet effet pervers. Assas ou la Sorbonne auraient très bien pu faire le choix d'augmenter leur taux minimum de boursiers : rien ne l'interdit dans la loi ORE, au contraire. "J'ignore s'ils ont uniquement choisi de se référer aux demandes minimum, mais il y a quand même sans doute une grande marge de manoeuvre, regrette Leïla Frouillou. On pourrait avoir une interprétation plus large de ce minimum, en se disant qu'il s'agit d'un taux d'affichage, d'un taux objectif. S'il ne peut pas être atteint, ce n'est pas un problème : on affectera d'autres personnes". Une manière de créer un appel d'air et d'inciter les candidats boursiers à davantage candidater l'année suivante : "Cela permettrait d'assurer une meilleure mixité sociale". De quoi, à ce moment, apporter un vrai "bonus" aux candidatures des bacheliers boursiers.

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