Monsieur le Président,
Quand vous avez dit que « déléguer notre capacité de soigner à d'autres est une folie » ;
Quand vous avez parlé de « changer de modèle », d'« interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies » – vous avez bien dit décennies, semblant nous rappeler correctement que la financiarisation de l'économie a commencé dans les années 80 ;
Quand vous avez dit, parlant de la santé, qu'« Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ».
Nous avons compris avec un immense soulagement, comme la majorité des Français, que vous aviez enfin compris les maux de la financiarisation de l'économie mondiale, et engagé la France, et aussi l'Europe, dans le combat contre celle-ci.
Or nous apprenons que, fidèle aux grands défenseurs français de cette financiarisation, vous prévoyez de nous engager de nouveau, avec une impulsion nouvelle, vers les Partenariats public-privé (PPP), le véhicule essentiel pour redonner le pouvoir souverain à la financiarisation, par le truchement du marché boursier, de l'optimisation fiscale qui rend légale le pillage des humains et de la nature, et du réseau mondial des paradis fiscaux qui chaque année coûte à la France seulement, entre 70 et 100 milliards d'euros de manque à gagner fiscal.
Nous pensions que vous aviez appris qu'il existe des alternatives à ce mode de financement inique et destructeur, et au financement direct des services publics par le budget de l'État. Car cette alternative est décrite, étudiée et évaluée par de nombreux laboratoires d'idées dans le monde, dont en France. Amère déception ! Nous nous joignons à la foule des Françaises et Français qui vous rappellent aujourd'hui vos promesses. Il faut que la France en finisse avec la financiarisation, une politique qui ramène tous les objectifs de développement et de création de richesses à la seule Valorisation maximale des intérêts de l'actionnaire.
Cette fois, au moment où la France comme le Monde fait face à trois crises simultanées.
- Une dette vertigineuse qui s'aggrave au seul profit des intérêts financiers. L'endettement peut être une bonne chose s'il est contracté auprès des Français pour ne pas alourdir la charge de la dette externe, et s'il est orienté vers la création d'emploi et la transition écologique à travers des investissements à très long terme. Saviez-vous que si nous avions une filière bois au niveau allemand, nous aurions 700 000 emplois en plus et un bilan carbone national encore meilleur ?
- Un changement climatique trop rapide pour que les écosystèmes aient le temps de se renouveler. Oui, la France ne pèse que pour 0,9 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Mais vous connaissez la force des symboles : si la France change et prouve que nous pouvons être prospère avec une économie durable, combien nous suivront ? Et quel avantage compétitif pour nos entreprises qui seraient les premières à pouvoir exporter ce nouveau savoir-faire ?
- Une épidémie qui montre au grand jour à quel degré de délabrement la financiarisation, par sa politique de bas salaires, de coupes budgétaires dans les dépenses publiques et aussi dans les investissements, de délocalisation (que ferions-nous en ce moment même sans les fournisseurs chinois et indiens ?) a ramené la Santé publique à un état de survivance. Un constat que nous pouvons étendre à tous les secteurs publics.
La réponse à ces défis est simple, sa mise en place est complexe. Elle demande un courage politique et une volonté administrative sans précédent. Il faut voir par-delà le modèle éculé de ces dernières décennies, pour reprendre vos mots, et inventer le système de demain, qui fera de la France et de l'Europe une troisième voie salutaire entre les excès destructeurs de l'Ouest et les autoritarismes de l'Est.
Il faut réorienter notre économie en profondeur, de manière progressive et raisonnée. Pour cela un seul levier : la fiscalité. Le système fiscal du XXe siècle, doit changer totalement pour embrasser les réalités économiques du XXIe. Il doit à nouveau être progressif dans sa globalité, sur l'ensemble des prélèvements obligatoires et empêcher l'évasion fiscale en la rendant trop dangereuse. Enfin, les impositions sur la consommation ne doivent pas alourdir la charge fiscale des Français, mais glisser d'une imposition de la valeur à l'imposition de l'empreinte écologique.
Il est plus que temps de respecter vos engagements, et le Comité Bastille est prêt à vous soutenir pleinement dans cette démarche.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre profond respect.
Le Comité Bastille
Signataires :
Élus et anciens Élus: Corinne Lepage, ancienne Membre du Parlement Européen, Fondatrice de CAP21; Hélène Mandroux, ancienne Maire de Montpellier, ancienne Conseillère Régionale, Région Languedoc; Yveline Moeglen, ancienne Vice-Présidente du Conseil Régional d'Alsace, puis de la Communauté Urbaine de Strasbourg, Déléguée Alsace de CAP21; Fabien Verdier, Conseiller Régional, Région Centre.
Membres et Correspondants : Daniel Angliviel, Isabelle Arnaud, Bernard Barthalay, Bruno Botto, Pierre Bourguet, Roger Brunelli, Clément Carrue, Christian Cazauba, Hubert Coste, Marie Dalbard, Michel Duhamel, Stéphane Grumbach, Richard Hasselmann, Antoine Héron, Gareth Jenkins, Nicolas Jouve, Jacky Leccia, Claudie Lemoine, Elisabeth Maillet, Huguette Maréchal, Michel Meunier, Jean de Monbrison, Jacline Mouraud, Jean-Michel Quintric, Jean Rapenne, Jean Sagnol, André Teissier du Cros, Yann Teissier du Cros, Eric Wallez.
Pourquoi taxer le patrimoine au lieu du revenu : Si nous taxons le patrimoine - la fortune - en plus de la cascade d'impôts sur les revenus: salaires; bénéfices ; loyers; honoraires ; intérêts; impôts de production ; dividendes; retraites... que paye et continue à payer celui qui a construit ce patrimoine, on l'encourage encore plus à se réfugier dans un paradis fiscal. Si nous taxons directement ce patrimoine et renonçons à tous impôts sur les revenus, nous décourageons puissamment l'évasion fiscale, car la prescription ne s'applique pas quand un actif est omis du bilan. Donc l'évasion devient d'un coup très dangereuse. Et nous réhabilitons l'investissement puisque les ressources le finançant n'ont plus été taxées, et ses revenus futurs ne seront plus imposés. Ces investissements se feront enfin là où ils sont urgents: transition énergétique (avec priorité sur les économies de toutes énergies) et adaptation au changement climatique. En outre nous pourrons réformer le système bancaire en séparant rigoureusement l'activité de banque de dépôts et celle de banque d'affaires. Notre pays échappe alors au pouvoir illégitime de la Financiarisation mondiale, donc peut efficacement entamer la réforme de ses institutions.
Il faut taxer l'actionnaire, et non pas l'entreprise ;
La consommation, et non pas le travail ;
Le rentier, et non pas l'entrepreneur ;
Le patrimoine, et non pas le revenu.