Enormément de monde s’est joint à la manifestation tolérée par la Préfecture. Et celle-ci n’a cessé de gagner en combattivité bouillonnante
"Faudra-t-il remercier Gérald Darmanin ? C’était à se poser la question, vers 13 heures ce samedi sur la place des Martyrs de la Résistance (tiens, résistance…) à Montpellier. Là, sous les fenêtres du préfet de l’Hérault, la foule n’en pouvait plus de s’époumoner dans un interminable « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas, nous…». Cinq minutes, ou bien plus, comme une rengaine, une transe, une ivresse. Et alors… et alors, qu’est-de que ça fait du bien ! Ne pas y voir du folklore : la Loi qu’il s’agit de combattre est dictée par ceux qui ont la haine à l’idée qu’on soit là (et qu’imaginer de ce qui traînait sous les casques des forces de l’ordre autour du bâtiment, renvoyées à leur stress des deux années passées).
Largement plus de deux mille, peut-être trois mille ? Elles et ils étaient là, presque surpris d’eux-mêmes, bravant l’atmosphère de plomb, lentement et sûrement répandue par le confinement ; deux mille, peut-être trois mille, déjouant le piège du énième réflexe gouvernemental, de légiférer de façon minable, en catimini et en urgence, pour profiter des circonstances. On n’en revenait pas d’être là, quand pas plus tard que le lundi précédent, devant les mêmes grilles de cette autorité – toujours plus pâlissante, sur le fond – seul un carré des braves appelait au sursaut, sans même oser fixer un rendez-vous clair pour une manifestation de masse.
Vers 11 heures ce samedi, devant l’Hôtel de Police, on n’était encore sûr de rien. La situation s’était brouillée avec deux appels à manifester le même jour. A 14 heures, un cortège interdit entendait braver cette même loi sécuritaire et faire d’un pavé deux coups en marquant le deuxième anniversaire des Gilets jaunes. [...]
Là, un premier signe ne trompait pas : la présence des jeunes. Beaucoup de jeunes. On s’ébroue sur le boulevard de Strasbourg, tournant le dos au commissariat comme à un objectif manqué. On s’évalue un peu moins de mille. Pas si mal, mais bon… Reste à se réjouir des pancartes malicieuses (“La République en moonwalk – Seule la répression est en marche”), efficaces (“Violences partout – Images nulle part”), philosophiques (“Leurs mensonges, leurs folies dirigent nos vies – Stop !”), etc." .../...
"Chaque organisation officiellement appelante pourra décliner la chose selon la spécificité de ses propres combats. On remarquera le représentant kurde disant sa solidarité « pour que les Français soient épargnés par une dérive à la Erdogan ». Moment d’émotion, quand la famille de Mohamed Gabsi vient demander justice pour ce Bitterrois, papa de trois enfants, mort en avril dernier, aux mains de la police municipale du maire proto-fasciste de Béziers, pour une simple entorse aux obligations de confinement. Ça n’est pas rien, car la Loi Darmanin veut donner quantité de pouvoirs nouveaux, et d’armes en conséquence, aux polices municipales. Quant au militant de “Stop armes mutilantes”, il demande que les Gilets jaunes massacrés l’an dernier par des armes de guerres soient appelés “blessés de guerre”, et les embastillés “prisonniers politiques”.
Gilets jaunes ? Une fois de plus par effet de sono peu audible, la foule se fait de plus en plus chantante de son côté, slogante, et ça en devient carrément festif, ici et là. Vraiment, on est là. On n’est plus qu’à une heure du rendez-vous de la Comédie. Sur l’œuf (comme les vieux Montpelliérains appellent cette place), le rassemblement sera tué dans l’œuf, laminé par un déploiement policier totalement disproportionné. Mais, rendez-vous pour rendez-vous, les organisateurs rappellent que la lutte ne fait que commencer. Ils annoncent une réunion ouverte à tous, individus compris, pour ce mardi soir. Il faudra en guetter les coordonnées, sur les réseaux."
Giletjaunisation contre la loi sécurité globale ? Pas si vite en besogne…
Le succès de la manifestation de samedi matin à Montpellier contre la loi « sécurité globale » souligne rudement l’exercice des pleins pouvoirs para-dictatoriaux contre la manifestation de l’après-midi. Comment reconstruire un rapports de force ?
"La protestation de rue, celle d’une gauche des combats – pas celle, façon Manuel Valls, qui s’est installée en mairie de Montpellier pour relayer la surenchère sécuritaire et la stigmatisation des populations non conformes – a relevé la tête samedi matin. Dans les colonnes du Poing, on a relaté l’affluence en nombre, la jeunesse dans les rangs, le succès des mots d’ordre anti-autoritaires radicaux, la joie des retrouvailles, la rencontre des inconnus par centaines, l’improvisation et l’effervescence, la prise du flambeau des soulèvements des deux années passées, en présence d’un bon nombre de leurs participants d’alors, gilets jaunes.
Et pour tout ça, on a titré : « A Montpellier, giletjaunisation de la bataille contre la loi Sécurité ». On a titré cela, dans le mouvement immédiat, un rien euphorique, de se mettre à rédiger l’article, juste en quittant la place de la Préfecture à 13 heures. Sauf… Sauf que pendant que se rédigeaient ces lignes, un autre journaliste du Poing devait constater, à peine une heure plus tard, à deux-cent cinquante mètres de là, l’écrasement dans l’œuf de la moindre tentative de regroupement pour le rassemblement de l’après-midi.
Non déclaré, à l’inverse de celui de la matinée, sans organisation appelante, à l’inverse du fort collectif de plus de vingt entités impliqué le matin, ce second rassemblement entendait marquer le deuxième anniversaire du mouvement des gilets jaunes. Non encadré, on pouvait le considérer plus proche de l’effervescence insurgée de ce mouvement. À prendre le pouls du cortège du matin, on pouvait s’attendre à ce que pareille effervescence, qui déjà s’y manifestait dans l’humeur, déboule, au moins pour quelques centaines de manifestants, sur la Comédie à 14 heures.
Le Préfet ne s’y est pas trompé. Dans son arrêté d’interdiction, il désigne explicitement ce rassemblement comme celui des gilets jaunes. Il en décrit les méfaits supposément constatés, apparemment dantesques. Il prononce une interdiction générale et absolue, de principe : tout rassemblement de ce type ne peut qu’être interdit. En découle un déploiement effarant de forces de l’ordre sur le terrain, sans même qu’il se soit produit le moindre incident. On se sentirait en Chine. En Russie. Écœurées, abattues, les velléités manifestantes ne peuvent que s’évaporer devant ce rapport de force.
Peut-on alors parler de giletjaunisation, sinon avortée, quand c’est le Préfet qui décide de qui a le droit de manifester, où et quand, et de quelle manière, sans qu’un rapport de force d’autonomie minimum ne parvienne à le contredire ? Si méritant soit-il pour sa ténacité, on ne peut considérer que le rendez-vous ritualisé plus tard dans l’après-midi au Prés d’Arènes, dûment déclaré, incarne ce rapports de force, en fait brisé.
Le défi est redoutable. Tout doit être envisagé. Réexaminé. Réinventé. Réitérer, très publiquement, des appels à rassemblement à l’endroit le plus en vue de la ville, quand rien ne permet d’y engager le moindre rapport de force, n’a-t-il pas quelque chose de désespéré ? En tout cas désespérant. N’y a-t-il pas d’autres lieux, d’autres formes, d’autres mobilités, d’autres tactiques, d’autres surprises, à explorer ? C’est plus facile à écrire qu’à forger. Mais comment se résoudre à laisser le Pouvoir enfermer là où ça l’arrange, la puissance combattive observée à midi dans le même lieu où, deux heures plus tard, il n’y a plus d’yeux que pour pleurer, sans même qu’il y ait besoin de lacrymos."
2 commentaires:
Enormément de monde s’est joint à la manifestation tolérée par la Préfecture. Et celle-ci n’a cessé de gagner en combattivité bouillonnante
"Faudra-t-il remercier Gérald Darmanin ? C’était à se poser la question, vers 13 heures ce samedi sur la place des Martyrs de la Résistance (tiens, résistance…) à Montpellier. Là, sous les fenêtres du préfet de l’Hérault, la foule n’en pouvait plus de s’époumoner dans un interminable « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas, nous…». Cinq minutes, ou bien plus, comme une rengaine, une transe, une ivresse. Et alors… et alors, qu’est-de que ça fait du bien ! Ne pas y voir du folklore : la Loi qu’il s’agit de combattre est dictée par ceux qui ont la haine à l’idée qu’on soit là (et qu’imaginer de ce qui traînait sous les casques des forces de l’ordre autour du bâtiment, renvoyées à leur stress des deux années passées).
Largement plus de deux mille, peut-être trois mille ? Elles et ils étaient là, presque surpris d’eux-mêmes, bravant l’atmosphère de plomb, lentement et sûrement répandue par le confinement ; deux mille, peut-être trois mille, déjouant le piège du énième réflexe gouvernemental, de légiférer de façon minable, en catimini et en urgence, pour profiter des circonstances. On n’en revenait pas d’être là, quand pas plus tard que le lundi précédent, devant les mêmes grilles de cette autorité – toujours plus pâlissante, sur le fond – seul un carré des braves appelait au sursaut, sans même oser fixer un rendez-vous clair pour une manifestation de masse.
Vers 11 heures ce samedi, devant l’Hôtel de Police, on n’était encore sûr de rien. La situation s’était brouillée avec deux appels à manifester le même jour. A 14 heures, un cortège interdit entendait braver cette même loi sécuritaire et faire d’un pavé deux coups en marquant le deuxième anniversaire des Gilets jaunes. [...]
Là, un premier signe ne trompait pas : la présence des jeunes. Beaucoup de jeunes. On s’ébroue sur le boulevard de Strasbourg, tournant le dos au commissariat comme à un objectif manqué. On s’évalue un peu moins de mille. Pas si mal, mais bon… Reste à se réjouir des pancartes malicieuses (“La République en moonwalk – Seule la répression est en marche”), efficaces (“Violences partout – Images nulle part”), philosophiques (“Leurs mensonges, leurs folies dirigent nos vies – Stop !”), etc."
.../...
"Chaque organisation officiellement appelante pourra décliner la chose selon la spécificité de ses propres combats. On remarquera le représentant kurde disant sa solidarité « pour que les Français soient épargnés par une dérive à la Erdogan ». Moment d’émotion, quand la famille de Mohamed Gabsi vient demander justice pour ce Bitterrois, papa de trois enfants, mort en avril dernier, aux mains de la police municipale du maire proto-fasciste de Béziers, pour une simple entorse aux obligations de confinement. Ça n’est pas rien, car la Loi Darmanin veut donner quantité de pouvoirs nouveaux, et d’armes en conséquence, aux polices municipales. Quant au militant de “Stop armes mutilantes”, il demande que les Gilets jaunes massacrés l’an dernier par des armes de guerres soient appelés “blessés de guerre”, et les embastillés “prisonniers politiques”.
Gilets jaunes ? Une fois de plus par effet de sono peu audible, la foule se fait de plus en plus chantante de son côté, slogante, et ça en devient carrément festif, ici et là. Vraiment, on est là. On n’est plus qu’à une heure du rendez-vous de la Comédie. Sur l’œuf (comme les vieux Montpelliérains appellent cette place), le rassemblement sera tué dans l’œuf, laminé par un déploiement policier totalement disproportionné. Mais, rendez-vous pour rendez-vous, les organisateurs rappellent que la lutte ne fait que commencer. Ils annoncent une réunion ouverte à tous, individus compris, pour ce mardi soir. Il faudra en guetter les coordonnées, sur les réseaux."
https://lepoing.net/a-montpellier-gilletjaunisation-de-la-bataille-contre-la-loi-securite/
Giletjaunisation contre la loi sécurité globale ? Pas si vite en besogne…
Le succès de la manifestation de samedi matin à Montpellier contre la loi « sécurité globale » souligne rudement l’exercice des pleins pouvoirs para-dictatoriaux contre la manifestation de l’après-midi. Comment reconstruire un rapports de force ?
"La protestation de rue, celle d’une gauche des combats – pas celle, façon Manuel Valls, qui s’est installée en mairie de Montpellier pour relayer la surenchère sécuritaire et la stigmatisation des populations non conformes – a relevé la tête samedi matin. Dans les colonnes du Poing, on a relaté l’affluence en nombre, la jeunesse dans les rangs, le succès des mots d’ordre anti-autoritaires radicaux, la joie des retrouvailles, la rencontre des inconnus par centaines, l’improvisation et l’effervescence, la prise du flambeau des soulèvements des deux années passées, en présence d’un bon nombre de leurs participants d’alors, gilets jaunes.
Et pour tout ça, on a titré : « A Montpellier, giletjaunisation de la bataille contre la loi Sécurité ». On a titré cela, dans le mouvement immédiat, un rien euphorique, de se mettre à rédiger l’article, juste en quittant la place de la Préfecture à 13 heures. Sauf… Sauf que pendant que se rédigeaient ces lignes, un autre journaliste du Poing devait constater, à peine une heure plus tard, à deux-cent cinquante mètres de là, l’écrasement dans l’œuf de la moindre tentative de regroupement pour le rassemblement de l’après-midi.
Non déclaré, à l’inverse de celui de la matinée, sans organisation appelante, à l’inverse du fort collectif de plus de vingt entités impliqué le matin, ce second rassemblement entendait marquer le deuxième anniversaire du mouvement des gilets jaunes. Non encadré, on pouvait le considérer plus proche de l’effervescence insurgée de ce mouvement. À prendre le pouls du cortège du matin, on pouvait s’attendre à ce que pareille effervescence, qui déjà s’y manifestait dans l’humeur, déboule, au moins pour quelques centaines de manifestants, sur la Comédie à 14 heures.
Le Préfet ne s’y est pas trompé. Dans son arrêté d’interdiction, il désigne explicitement ce rassemblement comme celui des gilets jaunes. Il en décrit les méfaits supposément constatés, apparemment dantesques. Il prononce une interdiction générale et absolue, de principe : tout rassemblement de ce type ne peut qu’être interdit. En découle un déploiement effarant de forces de l’ordre sur le terrain, sans même qu’il se soit produit le moindre incident. On se sentirait en Chine. En Russie. Écœurées, abattues, les velléités manifestantes ne peuvent que s’évaporer devant ce rapport de force.
Peut-on alors parler de giletjaunisation, sinon avortée, quand c’est le Préfet qui décide de qui a le droit de manifester, où et quand, et de quelle manière, sans qu’un rapport de force d’autonomie minimum ne parvienne à le contredire ? Si méritant soit-il pour sa ténacité, on ne peut considérer que le rendez-vous ritualisé plus tard dans l’après-midi au Prés d’Arènes, dûment déclaré, incarne ce rapports de force, en fait brisé.
Le défi est redoutable. Tout doit être envisagé. Réexaminé. Réinventé. Réitérer, très publiquement, des appels à rassemblement à l’endroit le plus en vue de la ville, quand rien ne permet d’y engager le moindre rapport de force, n’a-t-il pas quelque chose de désespéré ? En tout cas désespérant. N’y a-t-il pas d’autres lieux, d’autres formes, d’autres mobilités, d’autres tactiques, d’autres surprises, à explorer ? C’est plus facile à écrire qu’à forger. Mais comment se résoudre à laisser le Pouvoir enfermer là où ça l’arrange, la puissance combattive observée à midi dans le même lieu où, deux heures plus tard, il n’y a plus d’yeux que pour pleurer, sans même qu’il y ait besoin de lacrymos."
https://lepoing.net/giletjaunisation-contre-la-loi-securite-globale-pas-si-vite-en-besogne/
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