Ça pourrait commencer par un approximatif à la manière de Wittgenstein : de ce dont il n’y a rien à dire, il est inutile de parler.
Considérant en effet que nul ne vous soupçonne de penser que décapiter un prof à la sortie d’un établissement scolaire puisse être une chose à propos de laquelle on soit susceptible d’avoir des avis variables (du genre : recommandable ou son contraire, de mauvais goût, pas très malin, courageux, intempestif, etc.) et donc susceptible de donner lieu à une conversation ouverte et détendue – tout énoncé que vous serez porté à produire à propos de l’événement en question, commençant par une accumulation d’adjectifs et de superlatifs de répudiation et d’anathème n’aura pour effet que de vous inscrire dans le diagramme de cette correction morale qui est le ciment de toutes les unions sacrées et de vous assigner votre place dans le troupeau. .../...
"Vous êtes un républicain – une républicaine équipé-e d’états d’âmes. La meute et ses chefs adorent ça – ça assure le show.
Il fallait donc attendre que la poussière soit un peu retombée pour commencer à parler pour dire quelque chose et non pour faire tourner les moulins à prières. Dire quelque chose qui ait quelque chance d’échapper à l’insignifiance, dans cette configuration, cela suppose, élémentairement, commencer par le commencement et s’y tenir, à ce commencement, à l’encontre de toute l’opération discursive de grand style qui a consisté à l’éluder, le rendre nébuleux, le travestir, le transfigurer – le falsifier pour assurer le gros plan tétanique sur la scène d’horreur, le moment gore.
Au commencement, donc, il y a un prof qui, dans une espèce de cours d’instruction civique (peu importe le nom dont on affuble la chose, c’est bien toujours la même denrée sous des enveloppes différentes), montre des images à des gamins et gamines de treize ans. L’objet du cours, c’est la liberté d’expression, thème impulsé par les sommets de l’Etat depuis l’attaque contre les locaux de Charlie Hebdo. Aux premiers temps de la République, l’instruction civique était patriotique et revancharde, elle véhiculait aussi tout un catéchisme moral – aujourd’hui, elle est citoyenniste et la liberté d’expression en est le mantra – ce qui sert à tracer la ligne de partage entre le monde de l’autochtonie axiologique et culturelle et celui de cette cinquième colonne plébéienne aux contours variables, suspecte d’être allergique et rétive aux « valeurs de la République ».
Histoire de meubler, peupler, imager son cours, le prof exhibe deux dessins supposés satiriques de Charlie Hebdo, un gros plan destiné à enraciner dans la pâte molle des jeunes cervelles dont la culture et la garde lui ont été remises cette notion première : que la liberté d’expression, en général et en particulier, c’est la question de Charlie Hebdo avant tout, ou bien, réciproquement, que Charlie Hebdo, c’est l’alfa et l’oméga, le test des tests de la liberté d’expression. [...]"
.../...
"Le boulot du philosophe, en la circonstance, c’est l’analyse critique du présent, les diagnostics et, si possible les généalogies (comment avons-nous pu en arriver là, tomber si bas ?), pas les sermons républicains. Tant qu’il y aura dans les espaces scolaires et autres des moments de violence discursive, disciplinaire, pédagogique, autoritaire et pour tout dire imbéciles aussi épais que celui qui a fait déborder tout récemment la coupe de l’actualité, il y aura de ces retours de boomerang stridents dont la propriété est de mettre en mouvement de ces chœurs de pleureuses dont, à y regarder de près, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elles ne sont jamais que les Erinyes rhabillées par la circonstance [2]. Le point de réflexion est là et nulle part ailleurs. Le reste, c’est du théâtre républicain, en version funéraire et macabre et rien ne s’y trouve qui soit un objet de pensée."
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UN LONG HIVER RÉPUBLICAIN
Ça pourrait commencer par un approximatif à la manière de Wittgenstein : de ce dont il n’y a rien à dire, il est inutile de parler.
Considérant en effet que nul ne vous soupçonne de penser que décapiter un prof à la sortie d’un établissement scolaire puisse être une chose à propos de laquelle on soit susceptible d’avoir des avis variables (du genre : recommandable ou son contraire, de mauvais goût, pas très malin, courageux, intempestif, etc.) et donc susceptible de donner lieu à une conversation ouverte et détendue – tout énoncé que vous serez porté à produire à propos de l’événement en question, commençant par une accumulation d’adjectifs et de superlatifs de répudiation et d’anathème n’aura pour effet que de vous inscrire dans le diagramme de cette correction morale qui est le ciment de toutes les unions sacrées et de vous assigner votre place dans le troupeau.
.../...
"Vous êtes un républicain – une républicaine équipé-e d’états d’âmes. La meute et ses chefs adorent ça – ça assure le show.
Il fallait donc attendre que la poussière soit un peu retombée pour commencer à parler pour dire quelque chose et non pour faire tourner les moulins à prières. Dire quelque chose qui ait quelque chance d’échapper à l’insignifiance, dans cette configuration, cela suppose, élémentairement, commencer par le commencement et s’y tenir, à ce commencement, à l’encontre de toute l’opération discursive de grand style qui a consisté à l’éluder, le rendre nébuleux, le travestir, le transfigurer – le falsifier pour assurer le gros plan tétanique sur la scène d’horreur, le moment gore.
Au commencement, donc, il y a un prof qui, dans une espèce de cours d’instruction civique (peu importe le nom dont on affuble la chose, c’est bien toujours la même denrée sous des enveloppes différentes), montre des images à des gamins et gamines de treize ans. L’objet du cours, c’est la liberté d’expression, thème impulsé par les sommets de l’Etat depuis l’attaque contre les locaux de Charlie Hebdo. Aux premiers temps de la République, l’instruction civique était patriotique et revancharde, elle véhiculait aussi tout un catéchisme moral – aujourd’hui, elle est citoyenniste et la liberté d’expression en est le mantra – ce qui sert à tracer la ligne de partage entre le monde de l’autochtonie axiologique et culturelle et celui de cette cinquième colonne plébéienne aux contours variables, suspecte d’être allergique et rétive aux « valeurs de la République ».
Histoire de meubler, peupler, imager son cours, le prof exhibe deux dessins supposés satiriques de Charlie Hebdo, un gros plan destiné à enraciner dans la pâte molle des jeunes cervelles dont la culture et la garde lui ont été remises cette notion première : que la liberté d’expression, en général et en particulier, c’est la question de Charlie Hebdo avant tout, ou bien, réciproquement, que Charlie Hebdo, c’est l’alfa et l’oméga, le test des tests de la liberté d’expression. [...]"
.../...
"Le boulot du philosophe, en la circonstance, c’est l’analyse critique du présent, les diagnostics et, si possible les généalogies (comment avons-nous pu en arriver là, tomber si bas ?), pas les sermons républicains. Tant qu’il y aura dans les espaces scolaires et autres des moments de violence discursive, disciplinaire, pédagogique, autoritaire et pour tout dire imbéciles aussi épais que celui qui a fait déborder tout récemment la coupe de l’actualité, il y aura de ces retours de boomerang stridents dont la propriété est de mettre en mouvement de ces chœurs de pleureuses dont, à y regarder de près, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elles ne sont jamais que les Erinyes rhabillées par la circonstance [2]. Le point de réflexion est là et nulle part ailleurs. Le reste, c’est du théâtre républicain, en version funéraire et macabre et rien ne s’y trouve qui soit un objet de pensée."
https://lundi.am/Un-long-hiver-republicain
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