Inéligibilité des élus corrompus : pourquoi la promesse d'Emmanuel Macron n'est toujours pas pour demain
Plus aucun repris de justice parmi les élus. Vous vous rappelez sans doute de cette promesse offensive d'Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle. Celui qui allait devenir président de la République avait pris cet engagement écrit, afin de moraliser la vie politique : « Nous exigerons que le casier judiciaire B2 des candidats à des fonctions électives soit vierge. » Un an plus tard, un constat s'impose : ce n'est pas pour demain. Et ce malgré l'entrée en vigueur, en septembre 2017, de la loi sur la confiance de la vie politique, censée rendre cette inéligibilité automatique… Selon un rapport de Transparency France, publié ce dimanche 22 avril, plusieurs élus ou ex-élus condamnés ces derniers mois pour des faits de corruption ou de détournement de fonds publics pourront en effet se représenter, sans aucune restriction, aux prochaines élections.
Cette difficulté doit beaucoup à la complexité du droit pénal français. Par peur d'inconstitutionnalité, les députés n'ont pas obligé les députés à justifier d'un casier judiciaire vierge. Ils ont préféré créer une peine obligatoire d'inéligibilité en cas de condamnation pour un crime ou un certain nombre de délits. Ce petit rétro-pédalage a des conséquences importantes : il repousse l'application concrète de cette loi très loin dans le temps. En vertu du principe selon lequel une loi pénale ne s'applique qu'aux infractions intervenues après son entrée en vigueur, et vue la lenteur de la justice, les élus condamnés ces prochains mois, pour des faits antérieurs à septembre 2017, ne seront pas forcément inéligibles.
La preuve avec le rapport annuel de Transparency France qui montre que plusieurs élus condamnés après la promulgation de la loi de moralisation de la vie politique, qui plus est pour des faits de corruption ou de détournement de fonds, pourront se présenter sans problème aux prochaines élections. Les juges saisis auraient pu retenir une peine d'inéligibilité à leur encontre. Mais ils n'y étaient pas contraints par la loi. Ils en ont donc décidé autrement.
150.000 euros détournés... et toujours élu
Revue de détails. Selon Le Parisien, Yannick Bethermat, un ex-adjoint à la mairie de Pontoise (30.000 habitants) dans le Val-d'Oise, désormais conseiller municipal, a été condamné en mars dernier pour abus de confiance. Il a été reconnu coupable d'avoir détourné 150.000 euros appartenant à une association d'enfants handicapés, dont il exerçait les fonctions de trésorier. L'élu a écopé d'un an de prison avec sursis ainsi que de cinq ans d'interdiction d'exercer une fonction de trésorier… mais d'aucune peine d'inéligibilité. Il pourra donc, sans aucune restriction, se représenter, s'il le souhaite, aux élections municipales de 2020.
Même situation et mêmes conséquences en Eure-et-Loir. Selon L'Echo républicain, Loïc Bréhu, vice-président de Chartres Métropole, a été reconnu coupable en décembre dernier de corruption, faux, usage de faux et blanchiment, dans une affaire de versement d'argent hors contrat quand il était PDG d'une société de fabrication de fenêtres. Il a été condamné à deux ans de prison avec sursis, à cinq ans d'interdiction de l'exercice d'une activité professionnelle dans le domaine des portes et fenêtres, ainsi qu'à deux ans d'interdiction d'exercice d'un mandat social…. mais, encore une fois, à aucune peine d'inéligibilité. L'homme d'affaires a de toute façon fait appel, ce qui lui permet de redevenir présumé innocent.
Maire condamné pour escroquerie... mais pas destitué
La Gazette ariégeoisesignale qu'Etienne Dedieu, le maire de Saint-Lizier (Ariège), a été condamné le 20 mars dernier à cinq mois de prison avec sursis pour des faits de prise illégale d'intérêts, d'abus de confiance et d'escroquerie. L'édile avait notamment récupéré certains bénéfices effectués par la cathédrale du village pour son propre compte. Malgré les faits, le juge n'a pas estimé pertinent de rendre l'élu inéligible.
Les faits pour lesquels ces élus étaient jugés se sont tous passés avant la promulgation de la loi, le 15 septembre 2017. Concrètement, tout élu condamné pour des faits intervenus avant cette date pourra donc échapper à l'inéligibilité, sauf si le juge en décide autrement. Ce que, on vient de le voir, les magistrats ne font presque jamais. Etant donné les délais de jugement de la justice française – pour les trois affaires évoquées plus haut, il s'est écoulé de 4 à 9 ans entre les faits et le jugement – il faudra probablement attendre au mieux les années 2020 pour voir un élu automatiquement interdit de candidater à une élection. Voire plus tard, si on prend en compte les éventuels appels et pourvois en cassation, qui rajoutent plusieurs années à la procédure...
Macron aurait-il pu s'y prendre autrement ?
Malgré cet arrangement – compréhensible du point de vue juridique – avec sa promesse initiale, Emmanuel Macron a tenu à faire savoir, le 15 septembre dernier, qu'il considérait le contrat rempli. « L'impossibilité d'être élu quand on a un casier judiciaire B2 est aujourd'hui promulguée, contrairement à ce que beaucoup de gens ont dit ou peuvent encore croire. Ce que nous avions promis, nous l'avons fait », avait-il déclaré à la presse en marge de la promulgation de loi sur la confiance dans la vie politique. Force est de constater que tel n'est pas (encore) le cas.
S'il l'avait vraiment voulu, le Président aurait-il pu faire passer sa promesse de campagne sans la modifier ? Oui, à condition d'employer les grands moyens. Les députés auraient d'abord pu insister pour inscrire l'obligation du casier judiciaire vierge dans la loi. A charge pour le Conseil constitutionnel de se prononcer clairement sur la conformité du dispositif à la Constitution. Si les sages avaient décidé qu'un tel projet est inconstitutionnel, le gouvernement aurait toujours pu... modifier la Constitution sur ce point, comme il s'apprête à le faire pour d'autres sujets.