Affaire d'Etat ou vaudeville… La presse dresse le bilan du premier acte de l'affaire Benalla
Avec le rejet des motions de censure, mardi à l'Assemblée, un chapitre vient de se clore, au moins provisoirement : celui du premier scandale politique de l'ère Macron.
La presse locale a observé – avec intérêt, amusement ou dédain – les débats qui ont entouré les deux motions de censure proposées au vote des députés, mardi 27 juillet, à l'Assemblée nationale. Des motions nées de l'affaire Benalla et rejetées, sans surprise, par une majorité de parlementaires.
Pour L'Union de Reims, le coup d'essai est raté pour l'opposition, qui n'a pas atteint son but :
« Si Macron était visé, sachant que nul ne peut aller le chercher, selon ses mots, sur le terrain de la responsabilité pénale, c'est le premier ministre qui a essuyé le feu d'une motion pointant non pas sa politique mais les errements d'un proche du président plus boxeur que conseilleur. On voulait démontrer que la république est en danger, ce que personne ne croit et ne voit, alors qu'il suffisait de montrer que la Macronie aussi possède ses marécages… »
Même sentiment du côté du Républicain lorrain, pour qui l'affaire Benalla met surtout en lumière « l'extraordinaire impuissance du Parlement face à l'exécutif ».
« Rien ne permet, dans l'arsenal des Institutions, "d'aller chercher" un président pourtant passé publiquement aux "aveux". Un état de fait qui est finalement beaucoup plus inquiétant que les agissements d'un garde du corps qui rêvait de faire des heures sup dans la police. »
La Presse de la Manche reconnaît les talents d'orateur de Jean-Luc Mélenchon mais, pour le quotidien, « ce qui restera c'est peut-être la manifestation d'une majorité solidaire et engagée, applaudissant un Richard Ferrand plus combatif et plus incisif qu'à l'ordinaire ».
Impact incertain sur l'image du président
La presse s'accorde sur le fait que l'image du président est écornée. Pour L'Alsace, l'affaire Benalla est « de nature à instiller le doute chez ceux qui croyaient à l'ouverture d'une nouvelle ère politique en France avec ce jeune président qui, pour le coup, a ressorti les vieilles ficelles ».
Dans L'Est républicain, Philippe Marcacci estime qu'« au moment de boucler l'exercice, ce long feuilleton laisse un bien mauvais goût dans la bouche. L'état de grâce, ou du moins de bienveillance, est derrière nous. Plus que les faits, la gestion de la crise interroge sur une présidence jupitérienne bien moins exemplaire qu'elle ne le prétend ».
Le Journal de la Haute-Marne note de son côté :
« Du côté du gouvernement, on soutient mordicus que les Français – les électeurs donc – ne veulent plus entendreparler de cette affaire Benalla. Chez LR ou les insoumis, on promet qu'au contraire ils sauront s'en souvenir. A suivre. »
Certains éditorialistes ont eu le sentiment d'assister à une pièce de théâtre. Ainsi, pour Le Courrier picard :
« On nage en plein vaudeville dans cet opéra de quat'sous. Les portes claquent, les auditionnés d'un jour revoient leur copie le lendemain, le ministre de l'intérieur ne sait rien, le président parle entre amis. Il faut venir le chercher, dit-il. Mais on n'entre pas comme ça à l'Elysée. Tout le monde n'est pas Benalla. Edouard Philippe l'a dit hier en substance : Benalla a dû être manipulé par Jacob et Mélenchon. Un instrument. »
Résultat ? Pour Midi libre, le pays vient d'assister à « une séquence importante pour le microcosme politique, beaucoup moins sans doute pour le citoyen lambda qui use les flashs sur les routes et dont le pouvoir d'achat n'a pas tendance à franchement retrouver la forme ». En somme, un feuilleton qui aurait servi à masquer les enjeux politiques bien réels des réformes en cours ou à venir.
C'est le sentiment de Denis Daumin, dans La Nouvelle République du Centre-Ouest :
« Le locataire de Matignon laisse passer les salves et renvoie la balle, ailleurs, très loin du terrain, hors jeu. Un nouvel écran de fumée dans cette affaire Benalla qui, à bien des égards, fut un feu d'artifice, au sens premier du mot. »
Un écran de fumée qui pourrait, au final, servir l'exécutif, selon La République des Pyrénées :
« L'exaltation ambiante autour des agissements d'un conseiller élyséen qui se prenait pour un policier présente finalement l'avantage pour Emmanuel Macron et son gouvernement, au cœur de l'été, de détourner l'attention des nuages qui se profilent à la rentrée sur la situation économique du pays. »
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Deux villas corses d'un proche d'Emmanuel Macron échappent à la démolition
Une association déplore que la justice n'ordonne pas la démolition de deux villas sur un site protégé, appartenant à Pierre Ferracci, président du Paris FC et ami du chef de l'Etat.
Des associations de protection de l'environnement ont déploré jeudi une décision de la cour d'appel de Bastia condamnant le propriétaire de deux villas appartenant à Pierre Ferracci, construites sur un site protégé de la baie de Rondinara, près de Bonifacio (Corse-du-Sud), à une amende d'un million d'euros mais épargnant les bâtiments.
«C'est un endroit totalement vierge, en plein espace remarquable, qui a une des plus fortes protections. Le terrain est maintenant ravagé», a regretté Lisandru Plasenzotti, membre de l'association environnementale U Levante, partie civile, avec l'Association bonifacienne comprendre et défendre l'environnement (ABCDE), à l'origine de l'appel dans ce dossier.
«Le 8 février 2016, en première instance, la chambre correctionnelle du TGI d'Ajaccio avait déclaré la SCI Tour de Sponsaglia, représentée par Pierre Ferracci, coupable d'avoir, entre 2010 et 2013, construit deux villas non autorisées par un permis de construire et l'avait condamné à un million d'euros d'amende, mais pas à la démolition des bâtiments», rappelle U Levante dans un communiqué. Mercredi, la cour d'appel de Bastia a rendu une décision similaire.
Pierre Ferracci, un homme d'affaires proche du président
Ces deux villas construites en plein maquis dans la commune de Bonifacio, appartiennent à l'homme d'affaires Pierre Ferracci, membre d'une famille implantée depuis longtemps dans la région. Il est par ailleurs le père de Marc Ferracci, un ami proche du président Emmanuel Macron. «Pierre Ferracci n'est pas en effet n'importe qui. Fils d'Albert Ferracci, figure de la Résistance et responsable du parti communiste, il préside la société de conseils Alfa et le Paris Football Club», rappelle France Bleu Corse Frequenza Mora.
«L'amende d'un million d'euros est certes élevée mais elle reste futile pour ce genre de personnes. Cette affaire est gravissime car elle crée une jurisprudence qui peut ouvrir la porte à n'importe quoi pour des gens avec de l'argent», regrette Lisandru Plasenzotti.
«Si une famille puissante (financièrement et relationnellement) se permet de construire, sans permis, dans un lieu protégé, vierge, (...) et n'est condamnée qu'à une amende (faible comparée à la valeur estimée des deux villas), sans obligation de détruire, la porte s'ouvre pour une bétonisation illimitée de lieux, pour l'instant indemnes, par des personnes fortunées qui se moqueront d'avoir à payer une amende», renchérit l'association dans son communiqué. «Aucune amende ne peut compenser la flétrissure et seule la démolition et la remise en état pouvaient effacer la souillure», conclut-elle.
Alexandre Benalla: personnalités et anonymes indignés par la Une du JDD sur Benalla, "ça devient pathétique"
POLITIQUE - "Ce que j'ai fait pour Macron." Alexandre Benalla accorde, avec son interview dans le JDD ce dimanche 29 juillet son troisième entretien en quatre jours dans un grand média national. Après Le Monde, le 20 heures de TF1, c'est donc dans Le Journal du Dimanche que l'ancien collaborateur de l'Élysée mis en examen pour "violences en réunion" livre une nouvelle fois "sa vérité."
Et la couverture du JDD, parfois accusé de complaisance à l'égard d'Emmanuel Macron ne passe pas chez tout le monde. On y voit Alexandre Benalla, en costume, rasé, lunettes de vue sur le nez, les bras croisés, semblant s'adresser directement aux lecteurs à côté des mots "ce que j'ai fait pour Macron." "Une formule et une Une qui resteront culte, Pulitzer de la Com'" pour le journaliste et président du Festival de Cannes Pierre Lescure qui se lâche sur son compte Twitter.
Celui qui a également fondé la chaîne Canal+ dénonce une opération "pathétique" qu'il imagine sous l'égide de Mimi Marchand, une papesse de la presse people proche du couple présidentiel.
"Ce que j'ai fait pour Macron ", c'est une formule et une Une qui resteront culte , Pulitzer de la Com' qui perd toute focale! Y'a pas quelqu'un qui a dit à Mimi Marchand que fallait pas faire le coup de trop... ça devient pathétique, merde!
Pourquoi vous dîtes ça ? Je peux être en désaccord avec un gouvernement et vouloir que le pays soit gérer avec décence... Là,le ridicule touche à l'indignité. Mais si ca vous plaisir de penser ce que vous laisser entendre, sincèrement , je m'en branle.
Pierre Lescure n'est pas le seule à critiquer cette Une. Certains élus et observateurs dénoncent une couverture de l'affaire Benalla trop complaisante de la part du Journal du Dimanche à l'image d'Aymeric Caron qui fustige une "presse aux ordres."
LA SUITE APRÈS CETTE PUBLICITÉ
Après le 20h de TF1, #Benalla a les honneurs du JDD, dans une opération com censée redorer l'image du casseur de manifestants-usurpateur d'identité. Et la presse aux ordres n'existe pas?
— AymericCaronOfficiel (@CaronAymericoff)
La honte du journalisme ? Ce n° du #JDD ! Au sommaire : Benalla, apôtre de la non-violence, vive l'Eglise de Tom Cruise et une énième page de Propagande Hulot.
— PensezBiBi (@pensezbibi)
A la "Une" et sur 3 pages, un portrait complaisant de Benalla par Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du JDD. Ce journalisme-là est pitoyable. Il faut le dire. Et le redire !
— Henri Maler (@HMaler)
le monde/TF1/jdd triptyque de la loose... relookage express de base, pimp my Barbouze. Tu peux emballer du crottin dans du papier de soie tant que tu veux, ça deviendra pas des truffes.
— gaccio bruno (@GaccioB)
D'autres se montrent particulièrement agacés de voir, une nouvelle fois, Alexandre Benalla à la Une des médias.
Pour «une tempête dans un verre d'eau» si l'on en croit #Macron et #LaREM , #Benalla fait beaucoup de médias ? itw sur #LeMonde puis le 20 h de #TF1 et aujourd'hui le #jdd ? #jesuispartout ! Félicitations aux coachs de l' #Elysée, pour le nouveau Benalla relooké en gendre idéal !
— Patrice VERCHERE (@PatriceVerchere)
Après «Le Monde » et TF1, le JDD. A défaut de s'expliquer devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, #AlexandreBenalla est l'invité permanent du Parlement médiatique.
— Dion Jack (@DionJack2)
Méthodologie d'un plan de com huilé 1. Un journaliste de renom atteste de la pertinence du « discours vertébré » de #Benalla 2. Interview au 20h de TF1 du professionnel venu en aide aux forces de l'ordre 3. Une du JDD, mettre en avant son dévouement.. #NousPrendrePourDesQuiches
— ClotildeDeux (@Clotilde_Deux)
Et puis il y a aussi les internautes inspirés, experts en photoshop.
80 km/h : 7 raisons pour lesquelles Macron va se prendre un platane
Par Hector Allain.
Si plusieurs raisons expliquent le décrochage de Macron dans l'opinion, la loi sur les 80 km/h est sans doute la goutte d'eau de trop dans ce déluge de contraintes et de vexations fiscales. Cette loi technocratique et mal expliquée est en effet symptomatique. Elle est l'expression d'un État étouffant, affamé et méprisant. Sept raisons pour lesquelles cette loi passera mal, qu'elle soit utile ou non :
Pour le Français, la loi ne s'attaque pas aux vraies causes de la mortalité
Si la vitesse est un facteur aggravant, l'alcool, les stupéfiants, la fatigue constituent les vraies causes de mortalité. Plus étrange encore, la Ligue contre la violence routière reconnait dans un rapport récent que 50% des tués sur routes sans séparateurs médians se concentrent sur 15% des distances. Pourquoi diable ne pas réduire la vitesse uniquement sur ces segments ? Mal ciblée, la nouvelle loi aura des résultats – on en obtiendrait encore plus en roulant à 10 km – mais au prix d'un effort mal compris.
L'État devrait commencer à faire son travail sur la sécurité
Malgré des impôts en hausse constante et un record mondial des taxes, l'état de nos routes se dégrade. Comme celui de nos trains, de notre éducation et de notre police. À Paris, la chaussée est criblée de nids-de-poule. La signalétique souvent bâclée perturbe aussi la conduite. Dispose-t-on des statistiques sur le rôle de cet amateurisme administratif sur les accidents routiers ? Plus généralement, d'où vient ce paradoxe qui fait que le citoyen en ait moins alors qu'il paie toujours plus cher ? La raison est malheureusement simple : à l'instar d'un obèse de 150 kg, plus l'État grossit, plus il devient inefficace et plus sa voracité s'accroît. L'absentéisme des fonctionnaires, l'imbroglio des règlements, l'empilement des structures continuent d'augmenter année après année. Pour l'État, il semble plus facile de s'en prendre aux automobilistes que de demander aux cantonniers de travailler pour améliorer la chaussée.
L'exemple d'autres pays pose question
Les comparatifs européens de pays similaires, notamment du Danemark ou de l'Allemagne incitent à la méfiance. Ces débats techniques ont été superbement ignorés par les technocrates français. Une approche intelligente aurait été de procéder à une campagne de tests qui aurait mis tout le monde d'accord. Les Français sont évidemment favorables à la sécurité, mais ils attendent des éléments factuels.
L'État est obsédé par l'argent
La mesure des 80 km/h s'inscrit dans une série noire fiscale. Elle vient après l'augmentation majeure des contraventions, qui sont passées à Paris de 17 à 50 €. La maire Anne Hidalgo a confié l'exploitation des contraventions à un partenaire privé autrement plus efficace que ses contractuels fatigués. Au niveau national, on va privatiser les radars. Dans l'administration, on déteste le secteur privé mais on a recours à lui quand il s'agit de réaliser les basses œuvres. Le citoyen préfèrerait sans doute qu'on privatise le nettoyage des rues particulièrement sales à Paris ou le traitement des demandes administratives qui se font de plus en plus lentement.
On veut nous refaire le coût de la vignette
L'arrogance de Macron est son talon d'Achille. Avec la promesse de réallouer les revenus des radars aux victimes, le gouvernement prend les Français pour des idiots. La vignette supposée aider les anciens a finalement renfloué le budget global. Les victimes de la route étant déjà prises en charge par la Sécurité sociale, les fonds collectés connaîtront le même sort. Les jeux d'écritures comptables ne sont que de la poudre aux yeux.
Il existe d'autres causes prioritaires mais peu rentables pour l'État
Sait-on que plus de 20 000 personnes meurent chaque année des suites d'accidents domestiques ? Cette statistique est particulièrement effroyable car elle concerne 2000 enfants. Qui prend la parole pour ces victimes ? Qui vient nous faire des leçons de morale pour pacifier les maisons ? Même si des mesures européennes ont amélioré depuis 30 ans la sécurité des foyers, l'État brille par son absence. Des campagnes de préventions ciblées auraient un impact fort, sans doute en milliers de vies sauvées. Un levier sans doute beaucoup plus efficace que l'ennuyeuse mesure sur les 80 Km/h. Mais comme il est difficile en effet de mettre un radar/collecteur de taxes dans chaque maison, l'État fait preuve d'une sentimentalité sélective.
Cette mesure est perçue comme liberticide
Personne ne conteste évidemment la nécessité de sécurité mais le Français aime sa voiture et la liberté qu'elle représente. Les États ont toujours utilisé le prétexte de la sécurité pour limiter les libertés citoyennes. Le mur de Berlin a été construit officiellement pour protéger les Allemands de l'Est des intrusions du monde libre.
La voiture a une particularité par rapport au système étatique : elle entre en concurrence avec le business des transports en commun qui représente des milliards d'euros. Ce combat de titan n'est pas seulement économique, il est aussi idéologique. En France, les transports en commun font l'objet d'un dogme presque religieux qui permet d'occulter une réalité parfois sombre : un service qui se dégrade malgré une dette et des prix qui grimpent, des trains électriques que l'on fait rouler grâce au nucléaire dont les prochaines générations paieront le prix écologique, des métaux lourds qui infestent les couloirs du métro…
Le gouvernement actuel est libéral par pragmatisme mais foncièrement étatique par sa culture. Macron a bénéficié du soutien de tout l'appareil d'État, grâce aux voix d'étatistes de gauche et de droite. Dans un monde où la démocratie recule, la mesure de limitation de la vitesse à 80Km/heure fait donc inconsciemment peur. En France, un État big brother se dessine à petites touches, accompagnées d'un sirop douçeâtre de technologie et de bonne conscience. Fondée ou pas, cette mesure coûtera cher au gouvernement actuel qui a péché par orgueil et manque de discernement.
ENQUETE FRANCEINFO. Même Macron dément ses "infos" sur l'affaire Benalla : Nordpresse, le site "satirique" belge qui ne fait pas rire tout le monde
Certains louent son talent pour les canulars, d'autres l'accusent de "jouer un jeu dangereux" en créant de vraies fake news. Franceinfo a enquêté sur ce site belge qui a contraint le président de la République, en personne, à démentir l'une de ses infos polémiques.
Emmanuel Macron parle. Enfin. Pour la première fois depuis le début de l'affaire Benalla. Mardi 24 juillet, dans les jardins de la Maison de l'Amérique latine à Paris, ministres et parlementaires de la majorité écoutent sans mouffeter ses explications. "Alexandre Benalla n'a jamais occupé un appartement de 300 m2 à l'Alma", "Alexandre Benalla n'a jamais gagné 10 000 euros", "Alexandre Benalla n'a jamais été mon amant". Puis : "Alexandre Benalla n'a jamais détenu le code nucléaire."
Au même moment, à 300 kilomètres de là, à Bruxelles, un homme est à deux doigts de s'étouffer. "J'ai halluciné quand j'ai entendu ça, explique Vincent Flibustier (un pseudonyme). J'avais l'impression de vivre dans une caméra cachée tellement ça devenait énorme." Parce que cette fausse histoire de code nucléaire arrivée jusqu'au sommet de l'Etat, c'est lui. Ou plutôt son site Nordpresse, parfois présenté comme le "Gorafi belge". Ce canular, il l'a imaginé "comme ça". Beaucoup ont compris le quinzième degré, d'autres sont tombés dans le panneau. Comme Eric Pauget, député Les Républicains des Alpes-Maritimes, qui l'a partagé tel quel sur Twitter.
C'est hallucinant qu'un député de la 5e puissance mondiale puisse partager un truc pareil ! C'est pas crédible quoi !Vincent Flibustier, fondateur du site Nordpresseà franceinfo
"Un million de visiteurs par mois"
L'histoire de Nordpresse remonte à 2014 : ce geek a eu l'idée de monter le site en rentrant chez lui, "bourré",raconte l'homme de 27 ans. Le nom n'a pas été choisi au hasard. C'est un clin d'œil à Sudpresse, un groupe de presse régionale belge qui englobe plusieurs journaux spécialisés dans l'information de proximité. Pourquoi ? Parce qu'il les a "dans le pif" depuis longtemps.
À la base, l'idée c'était de faire des articles encore plus chiens écrasés.Vincent Flibustierà franceinfo
L'une de ses premières publications donne le ton : "Partouze de vieux à Charleroi : 7 morts".Sa page Facebook compte 62 000 abonnés à ce jour, son compte Twitter 10 000. Il affirme "tourner autour de 800 000 à un million de visiteurs par mois". C'était même "trois fois ça" il y a deux ans. Celui qui dit "faire ça complètement à l'arrache" peut "pondre" 15 articles le même jour et ne rien publier les trois suivants.
Quand il y a une effervescence dans la presse traditionnelle, j'ai la même sur Nordpresse. Je suis le même train de cette folie de l'information.Vincent Flibustierà franceinfo
La ficelle principale, c'est de brosser les gens dans le sens du poil. C'est toute cette post-vérité qui fait que les gens ont envie de croire à la chose. Plus on a envie de croire, plus on est dans l'émotionnel. Je trouve ça plutôt intéressant de piéger les gens et de continuer à les piéger parce que fatalement ça stimule l'intellect.Vincent Flibustierà franceinfo
Son humour ne fait pas rire tout le monde, à commencer par son cousin français du Gorafi. "C'est quelqu'un qui joue constamment pour le buzz", s'énerve Jean-François Buissière, pseudonyme du directeur fictif derrière lequel se cachent les fondateurs du site parodique.
Le Gorafi et Nordpresse ne font pas le même métier, c'est deux choses différentes. Nous on fait de la parodie, lui fait de la fake news trash.Le Gorafià franceinfo
Éric Morain, l'avocat de Nordpresse, est habitué à cette critique. "Le problème, c'est qu'on a pris le Gorafi comme référentiel absolu. En clair, soit on fait de la parodie du type Gorafi, soit ce n'est pas de la parodie. Comme s'il ne pouvait pas y en avoir d'autre."
"Tout ce qu'il cherche, c'est buzzer"
Marcel Sel ne le porte pas beaucoup plus dans son cœur. "Sa première cible, c'était Sudpresse qu'il accusait de faire du mauvais journalisme, putassier. Mais ses pratiques à lui sont du même niveau, voire bien pire", s'agace le journaliste et chroniqueur belge qui a déjà écrit plusieurs posts au sujet de Nordpresse sur son blog.Tout ce qu'il cherche, c'est buzzer, se faire mousser, faire parler de lui."
Il fait notamment référence à la large couverture médiatique dont a bénéficié le site après une supposée "censure" de la part de Facebook. Dimanche 22 juillet, Vincent Flibustier a sauté sur son clavier pour rédiger un post alarmiste, après qu'un grand nombre de ses articles ont été "supprimés" du réseau social. Bingo : le post est partagé 46 000 fois. Dans la journée, Facebook évoque un "problème technique". Rien n'y fait : sur les réseaux sociaux, le sujet déchaîne les passions et de nombreux internautes voit derrière ces suppressions la main invisible d'Emmanuel Macron.
"On m'accuse d'être complotiste, je suis tout l'inverse"
Ses détracteurs reprochent aussi à Nordpresse de "jouer un jeu dangereux" en entretenant le doute sur le site. Lorsqu'on débarque sur la page d'accueil, rien n'indique en effet qu'il s'agit d'un site parodique. Il faut descendre tout en bas pour découvrir la mention suivante : "Certaines informations présentes sur ce site sont satiriques et/ou parodiques, veillez à conserver un esprit critique, merci." Sur Twitter, ce n'est pas beaucoup plus clair : "Toute l'information en Belgique – Faits divers – Animaux en danger." Et sur Facebook, l'internaute doit cliquer sur l'onglet"À propos" pour découvrir la vraie teneur de Nordpresse, "premier site satirique de Belgique, plus grand employeur de chimpanzés, site satirique le plus lu en Europe derrière d'autres".
Certains titres d'articles entretiennent aussi la confusion en relatant de vraies informations, comme celle annonçant l'élection de Pablo Sanchez à la tête du gouvernement espagnol : "Le but, c'était juste de faire un jeu de mot débile avec la photo d'un mime sans chaise", explique-t-il.
Vincent Flibustier n'hésite pas non plus à user de subterfuges pour accentuer la crédibilité de ses faux articles. Avec son compte Facebook personnel, le développeur masque le nom de domaine de Nordpresse et le remplace par d'autres suffisamment crédibles. Exemples : "actubelgique.be", "nordinfo.be" ou encore "nicesoir.press". Une technique pourtant interdite par les conditions d'utilisation du réseau social.
"J'assume complètement, je fais aussi du canular", répond Vincent Flibustier, pas beaucoup plus gêné quand il raconte aller lui-même poster ses faux articles dans des groupes de sympathisants d'extrême droite. "Je partage des trucs dedans pour qu'ils se fassent avoir, explique-t-il. Il y a quelques mois, un de mes articles a bien marché. Il était titré 'Un réfugié syrien est venu avec 97 enfants en Belgique', mais sur la photo, le gars est asiatique. On voit que ce n'est clairement pas un Syrien. C'est ridicule. Quand je vois des sympathisants FN, voire des élus locaux, partager ce genre de trucs, ça me fait marrer. Cela fait un bon fichier de cons."
Beaucoup de gens disent que c'est dangereux parce que les gens n'ont pas les capacités intellectuelles pour décrypter. Moi, je suis plutôt du genre à me dire 'tant pis s'ils ne les ont pas, ils vont apprendre'. C'est notre société qui doit leur apprendre à débunker les infos.Vincent Flibustierà franceinfo
Il le jure, ce n'est pas du tout son bord politique : lui se place "à gauche". Il est même candidat sur la liste des écologistes à Bruxelles pour les élections municipales du mois d'octobre. "On m'accuse d'être complotiste, antisémite ou je sais pas quoi, alors que je suis totalement tout l'inverse. Je porte plutôt des valeurs progressistes." Au parti Ecolo, la présence du fondateur du site parodique ne semble pas poser trop de soucis : "On est conscient que les histoires avec Nordpresse peuvent créer des remous. Mais Nordpresse et la candidature de Vincent sont deux choses distinctes et nous veillons à ce qu'il n'y ait pas de confusion. Après, Nordpresse est un site parodique, volontairement provocateur. On aime ou on n'aime pas."
Des canulars aux proportions inattendues
Il est vrai que ses canulars prennent parfois d'étranges proportions. Lors d'une conférence de presse donnée par Jean-Marie Le Pen dans sa résidence de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) en 2015, un journaliste d'une agence de presse panafricaine, interpelle l'ancien président du Front national. Dans sa question, il cite un faux article de Nordpresse intitulé "Jean-Marie Le Pen : 'Une bombe atomique sur l'Afrique et fini les morts en Méditerranée !'"La scène, surréaliste, est racontée à l'époque par Le Lab.
"– Le journaliste : Il n'y a pas fort longtemps, vous avez appelé à frapper l'Afrique d'une bombe si j'ose dire atomique ou chimique, pour résoudre la question de l'immigration.
– Jean-Marie Le Pen : Non cher monsieur, ce tweet est un faux, comme il en existe beaucoup sur le net d'ailleurs, il faut le dire."
Trois ans après, Vincent Flibustier se marre toujours autant. "C'est extraordinaire comme affaire", ricane-t-il, avant d'entamer la liste de ses principaux faits d'armes. Il se souvient d'une fausse citation attribuée à Christine Boutin sur la pédophilie ou d'un faux tweet de Nicolas Dupont-Aignan à propos de Mamadou Gassama. Point commun : ils ont tous les deux provoqué la réaction outrée des intéressés.
Je suis un peu punk. D'une certaine manière, j'aime bien emmerder les méchants. Quand je vois la liste de mes ennemis c'est globalement le FN, Sudpresse, Christine Boutin, Nicolas Dupont-Aignan qui voulaient porter plainte contre moi pour un faux tweet. Que des braves quoi.Vincent Flibustierà franceinfo
"C'est œil pour œil, dent pour dent"
Son côté sans limite lui joue évidemment des tours. Vincent Flibustier connaît l'adresse du palais de justice de Bruxelles par cœur. Le groupe Sudpresse le poursuit pour avoir divulgué l'adresse d'une de ses journalistes dans un article. L'homme de 27 ans reconnaît les faits. Il explique avoir "fait ça pour [s]e foutre d'eux", en réponse à "la carte des musulmans de Belgique, commune par commune", publiée par le journal en mai 2016. En clair, c'est "œil pour œil, dent pour dent". Après deux ans de procès et 11 000 euros d'avocat, le Belge a remporté la partie en première instance. Un appel est toujours en cours. Sudpresse fait savoir à franceinfo qu'il ne souhaite pas s'exprimer à ce jour.
Pour la fausse déclaration sur l'Afrique attribuée à Jean-Marie Le Pen, le créateur de Nordpresse a évité le procès de peu, car le délai de prescription était dépassé. En attendant, c'est une internaute qui avait partagé la publication à l'époque qui devra répondre en diffamation en avril 2019. Quant à Nicolas Dupont-Aignan, il promettait de poursuivre le site satirique. Contacté par nos soins, l'élu de l'Essonne confie ne pas avoir "encore trouvé le temps de s'en occuper". Éric Morain se tient prêt : "La parodie obéit au même régime que la caricature, personne n'est obligée d'y croire, dit-il. Ça pose des questions sur la façon dont on ingurgite l'information. Il faut plus de prudence."
On ne peut pas être un internaute passif, être un réceptacle comme des oies qu'on gave.Éric Morain, avocat de Vincent Flibustierà franceinfo
Un millier d'euros par mois
Vincent Flibustier jure qu'il n'a pas créé Nordpresse pour l'audience, encore moins pour l'argent. "Ça ne représente pas la majorité de mes revenus, dit-il. C'est un gros millier d'euros par mois." Une somme jugée "crédible" par un ancien de Google contacté par franceinfo. Le reste du temps, il fait du développement web. Plus surprenant, il lui arrive d'aller dans les écoles belges pour sensibiliser les élèves... sur la question des fake news, au grand dam de ses détracteurs. Chez Enseignons.be, le réseau de création et d'accompagnement pédagogiques (structure soutenue par le ministère de l'Enseignement obligatoire), on assume complètement. "C'est nous qui l'avons contacté, et nous ne le regrettons pas, explique Jonathan Fischbach, son administrateur délégué. Il est plus que légitime finalement. Il ne se cache pas de vivre de la crédulité des gens."
Il intervient bénévolement chaque année dans une trentaine d'écoles. "Ce sont des cours de trois heures devant une petite centaine d'élèves âgés de 12 à 17 ans à chaque fois. Les jeunes peuvent même à la fin de la session créer leur fake news."
Oui, il y a quelques enseignants qui ne sont pas enchantés. Mais c'est extrêmement rare. Moi-même, je reconnais que certains articles sont crasseux. Ça n'enlève en rien ses compétences.Jonathan Fischbach, président d'Enseignons.beà franceinfo
Ce côté provocateur sans limite crée en tout cas un certain malaise dans le petit monde de la presse parodique. "Quand on parle de lui comme d'un Gorafi belge, ça m'hérisse le poil, grimace Jean-François Buissière. Nordpresse, c'est un peu le cousin dégénéré dont on a un peu honte au repas, celui qu'on essaie d'éviter du regard." En février dernier, plusieurs sites satiriques européens se sont réunis pendant trois jours à Amsterdam pour évoquer des futurs projets communs. Autour de la table, Le Gorafi, le Hollandais De Speld, l'Allemand Der Postillon et l'Irlandais Waterford Whispers News. Le "cousin dégénéré", lui, n'a pas été convié. Pas de quoi le vexer : "Franchement, je m'en fous."