Ce que l'affaire Benalla nous dit sur Emmanuel Macron
Par Philippe Bilger.
L'affaire Benalla a pris un tour médiatique, politique, parlementaire et judiciaire – enquête, juge d'instruction saisi, mises en examen – qui, chaque jour, enfle. D'abord à cause des révélations sur les agissements multiples de ce personnage – garde du corps mais bien plus – et en raison des privilèges pour le moins discutables qui lui ont été octroyés.
Un parfum de séisme
Un exemple parmi d'autres de cette effervescence qui ne retombe pas. Comme le président de la République se tait à l'exception de ce « la République est inaltérable » qui est suffisamment flou pour n'engager à rien, la commission d'enquête qui a été constituée n'exclut pas d'entendre Brigitte Macron qui a été à plusieurs reprises apparemment accompagnée par Alexandre Benalla.
Un processus est mis en branle, et pour ses diverses facettes il n'y a plus qu'à attendre avec curiosité et inquiétude ses développements. L'opposition se rue dans cette porte enfin ouverte pour prendre le gouvernement – non pas en déroute mais pour une fois dans les cordes – au piège de ses promesses de 2017. Un parfum de séisme aggravé par la suspension de l'examen de la révision constitutionnelle.
On ne peut pas se contenter d'accabler Emmanuel Macron. Il y a peu de similitudes entre l'état de droit dévasté hier et les étranges libéralités, l'incroyable confiance que Emmanuel Macron a dépensées en faveur de Benalla dont le parcours maintenant est bien connu.
Force est de reconnaître que le seul qui ait perçu le soufre et le danger derrière la compétence professionnelle prête à tout est Arnaud Montebourg qui n'a pas gardé Benalla plus de huit jours auprès de lui.
Un sentiment de supériorité ?
Au fil des jours, l'Élysée, Emmanuel Macron et Benalla forment une configuration qui n'empêchera pas le président d'agir sur le plan politique mais qui, pour la première fois, mettent gravement en cause sa légitimité de créateur et d'inspirateur d'un univers irréprochable. C'était pourtant l'une de ses forces les plus remarquables que d'avoir su trancher avec le monde d'avant et de s'être efforcé longtemps avec succès de renvoyer aux oubliettes les transgressions des pouvoirs dont il cherchait avec talent et obstinément à être le contre-modèle.
L'embellie démocratique apportée dans les premiers mois à ce lieu de pouvoir qu'est au propre et au figuré l'Élysée a été tout à fait éclatante. Discrétion, réserve, organisation, tenue, exemplarité des comportements, parole rare, cohérence, solidarité – un chef indiscuté entourée par une équipe de haut niveau acharnée à sa tâche et inconditionnelle. Même les adversaires les moins objectifs de la présidence Macron n'avaient pas pu ne pas remarquer le gouffre qui séparait cette maîtrise à tous points de vue du désordre guère créateur d'avant, surtout sous l'ère de François Hollande.
Insensiblement, peut-être, cette excellence, la certitude de cette excellence, se sont-elles transformées en un sentiment de supériorité, presque d'arrogance. L'exigence du secret est devenue volonté de dissimulation et l'obsession d'une autarcie protectrice et trop sûre de son fait s'est probablement substituée au souci légitime de sauvegarde d'une indépendance nécessaire au bon fonctionnement de l'État.
Ce n'était plus : nous voulons devenir les meilleurs mais nous sommes les meilleurs et tant que nous serons entre nous, rien de négatif ne pourra advenir. Une équipe s'est muée en bande avec ses avantages et son intensité mais aussi avec une forme de démesure qui excluait de moins en moins un zeste de mépris pour le profane qui ignorait tout et n'était pas digne d'appréhender même de loin ce qui n'était réservé qu'aux initiés.
Cette évolution a entraîné, de la part d'Emmanuel Macron qui est tout sauf « immature » ou « un gamin », l'envie de pouvoir compter absolument sur quelques-uns, quel que soit leur niveau et leur fonction dans le dispositif présidentiel, parce que leur fidélité lui était acquise à vie et que sans doute la faiblesse de notre président est d'être trop sensible à l'encens que de bonne foi on déverse sur lui parce que profondément il est persuadé qu'il le mérite.
Des collaborateurs qui peuvent tout se permettre
L'importance qu'il attache au lien indéfectible entre lui et ceux qui le servent ont pour conséquence et pour rançon le fait que, sa confiance octroyée, ses collaborateurs peuvent tout se permettre.
Non pas dans le registre technique où sa vigilance est extrême et ne supporterait pas les approximations mais dans les périphéries, dans cette zone qui n'est plus celle du pouvoir pur mais relève plutôt d'agissements et d'efficacité qu'il valide parce que rien de ce qui peut émaner par exemple d'un Benalla ne pouvait être mauvais et qu'à ce titre celui-ci avait droit à des avantages exorbitants comme notamment d'avoir un badge d'accès à l'Assemblée nationale comme collaborateur du président et auxiliaire de son chef de cabinet.
Il a ainsi donné à Benalla cette ivresse de toute-puissance qui conduit à tout se permettre, sans distinguer entre le licite et l'illicite, parce que l'aval du président abolit ces frontières et donne à chaque acte, quel qu'il soit, sa légitimité.
On verra la suite des événements. Apocalypse ou chant du cygne ? L'affaire Benalla appelle une réaction, une remise en ordre, un peu de modestie. L'Élysée n'est plus un lieu magique mais un royaume comme les autres.
Car Benalla nous dit beaucoup sur Emmanuel Macron. Et ce n'est pas rien.
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