C'est un dur revers pour les commissaires européens au Commerce (Karel de Gucht) et au marché intérieur (Michel Barnier), fervents défenseurs de l'accord. Les commissaires chargées de la Société de l'information et de la Justice, Neelie Kroes et Viviane Reding, sont vraisemblablement soulagées, en revanche, par l'échec de leurs collègues. Négocié depuis plusieurs années dans des conditions peu transparentes, le traité international a semé la zizanie à Bruxelles et à Strasbourg, tout en générant des manifestations monstres dans le monde entier.
Un texte trop flou
Dans une interview au Point.fr fin mai, le commissaire Michel Barnier avait regretté que le texte en soit réduit à son volet numérique, et avait déploré "la confusion qui s'est développée autour d'Acta et de son impact sur Internet". "Acta n'est pas le bon outil, il est inefficace et dangereux pour la protection des données personnelles", nous avait pour sa part expliqué Françoise Castex, eurodéputée socialiste, qui rappelait : "La contrefaçon des biens est un délit, et elle est parfois dangereuse. Il faut se donner un cadre pour la combattre."
Les détracteurs d'Acta, tout en reconnaissant l'importance de la lutte contre la contrefaçon, soulignaient notamment les risques pour les libertés sur Internet, l'un des volets que le traité abordait pour enrayer le téléchargement illégal. Ainsi, la responsabilisation à demi-mot des acteurs privés, dont les fournisseurs d'accès à Internet, aurait pu déboucher dans certains pays sur une forme d'autocensure de l'Internet sans intervention du juge. Des formulations trop floues, résultats de difficiles négociations, permettaient aux États parties d'interpréter certaines des mesures de façon très pénalisante pour les citoyens. D'autres volets d'Acta menaçaient par ailleurs le secteur des médicaments génériques et l'accès aux soins des pays les plus pauvres. Une pétition avait recueilli 2,8 millions de signatures, et certains États membres de l'UE avaient fait machine arrière ces derniers mois. Dans une ultime manoeuvre, la Commission européenne avait saisi la Cour européenne de justice, espérant - en vain - que le Parlement retarderait son vote pour attendre l'avis des Sages.
"Le début d'une nouvelle ère" ?
"Au-delà d'Acta (...) les citoyens doivent exiger une réforme positive du droit d'auteur qui permettra d'encourager les pratiques culturelles en ligne, telles que le partage et le remix, plutôt que de les réprimer", tempère Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net, organisation citoyenne qui s'est battue dès l'origine contre le texte. "La victoire contre Acta doit marquer le début d'une nouvelle ère dans laquelle les décideurs publics font passer les libertés et l'Internet libre - notre bien commun - avant les intérêts privés", conclut-il.
L'Acta avait été signé en janvier 2012 par 22 des 27 gouvernements de l'UE, ainsi que par les États-Unis, le Japon, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Corée du Sud, la Suisse, leMexique et le Maroc.